Plus de deux semaines se sont écoulées et le mystère demeure. Qui a perpétré l’attentat contre le restaurant Aziz Istanbul, le 13 août à Ouagadougou, tuant 19 personnes ? Le mode opératoire, similaire à l’attaque du 15 janvier 2016 très vite revendiquée par Al-Mourabitoune, a immédiatement fait penser à une action djihadiste. Mais, depuis, ce silence intrigue.

« Si les groupes terroristes ne revendiquent pas l’attentat, du point de vue de l’impact politique, c’est comme s’ils n’avaient rien fait », souligne Yvan Guichaoua, spécialiste du Sahel et enseignant-chercheur à la Brussels School of International Studies, en Belgique. De fait, les organisations terroristes au Sahel – qu’il s’agisse d’Al-Qaida, avec le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), ou de l’Etat islamique, avec l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS) – semblent avoir préféré garder le silence et entretenir le doute. Car, pour les deux factions rivales, l’attentat contre l’Aziz Istanbul est gênant.

« On ne sait pas qui a fait cet attentat, mais, ce qui est sûr, c’est que les terroristes savent qu’ils ont raté leur coup. S’ils ne le revendiquent pas, c’est qu’ils ne sont pas contents d’eux, affirme une source sécuritaire burkinabée. Ils ont frappé un lieu où la nourriture servie est halal, un lieu qui ne vend pas d’alcool et qui était fréquenté par les musulmans… »

Deux cheikhs koweïtiens

Le 13 août, parmi la quarantaine de clients attablés dans l’établissement turc, il y avait deux éminents responsables musulmans du Koweït : le cheikh Walid Al-Aly, grand imam de la capitale de l’émirat, et le cheikh Fahd Al-Husseini, l’un des responsables de la prédication dans le pays. Invités à Ouagadougou dans le cadre d’un séminaire de formation donné aux imams et aux prédicateurs du Burkina Faso, les deux hommes ont été tués dans l’attentat, tout comme les trois étudiants du Mouvement sunnite du Burkina Faso (MSBF) qui dînaient avec eux ce soir-là.

« La question de la légitimité de tuer ou non des musulmans fait débat au sein de l’internationale djihadiste, donc certains peuvent avoir du mal à revendiquer une attaque qui a tué deux musulmans érudits, indique Cynthia Ohayon, analyste d’International Crisis Group (ICG) en Afrique de l’Ouest. Si on part de l’hypothèse selon laquelle le GSIM est responsable de l’attentat, l’existence de dissensions internes au sein de cette coalition de plusieurs groupes peut expliquer l’absence de revendication. »

Toujours dans cette hypothèse, le Front de libération du Macina, Ansar Dine, Al-Mourabitoune et Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), qui se sont coalisés au sein du GSIM, étaient-ils même tous au courant de la planification de cet attentat ? « Il est possible que l’ordre n’ait pas été donné au sommet, qu’il y ait eu un problème de communication ou une rivalité au sein du groupe », ajoute Yvan Guichaoua.

La mauvaise cible

Pour les analystes comme pour les forces de sécurité du Burkina Faso, il ne fait guère de doute : la cible a été mal choisie par les deux assaillants. « Il y a sans doute eu un problème de communication avec la personne chargée de contrôler l’exécution de l’attaque, dit un officier burkinabé. Soit les deux terroristes n’avaient pas toutes les informations sur l’Aziz Istanbul et ne savaient pas qu’il s’agissait d’un lieu fréquenté par les musulmans, soit ils se sont trompé de cible. »

Pour retracer les mouvements des assaillants dans la capitale avant l’attaque et identifier leurs complices, un portrait-robot du duo a été diffusé : deux hommes, l’un au teint clair, l’autre au teint plus foncé. Leur identité reste inconnue, tout comme le nombre d’éventuels complices impliqués. Depuis le 14 août, la procureure du Faso, Maïza Sérémé, chargée de l’enquête, n’a pas communiqué, par « manque d’avancées significatives », assure le ministère de la justice. Selon nos informations, les caméras de surveillance de l’Aziz Istanbul ne viendront apporter aucune lumière à l’enquête. Le soir de l’attentat, elles étaient en panne.