Jean-Claude Juncker, le 3 mai à Bruxelles. / Virginia Mayo / AP

La tension est encore montée d’un cran entre Varsovie et Bruxelles, après que le gouvernement ultraconservateur du parti Droit et justice (PiS) a rejeté en bloc, mardi 29 août, les graves préoccupations formulées par la Commission concernant l’Etat de droit dans le pays, à la suite d’une série de réformes du système judiciaire polonais mettant en péril son indépendance.

Pour autant, même si, selon nos informations, elle étudie très sérieusement ce scénario en testant le soutien des Etats membres, la Commission refuse de se précipiter pour lancer la première phase de l’article 7 du traité de l’Union. Et pour cause : aussi inédite que radicale, cette procédure, souvent qualifiée d’« option nucléaire », peut aller jusqu’à une mise au ban de la Pologne si elle est menée à son terme, en privant le pays de ses droits de vote au Conseil.

Fin juillet, très inquiète des risques de mise sous tutelle de la justice polonaise, la Commission avait émis une recommandation à Varsovie, lui donnant un mois pour revenir sur ses réformes. Elle affirmait aussi être « prête à déclencher sans délai la procédure prévue à l’article 7, paragraphe 1 », aboutissant à un constat de « risque clair de violation grave » de l’Etat de droit par le Conseil, si Varsovie révoquait ou mettait des juges à la retraite forcée.

Le gouvernement ultraconservateur reste sur sa ligne de défense, qui conteste aux institutions européennes le droit d’ingérence dans les affaires intérieures du pays. « L’organisation du système judiciaire est une compétence exclusive des Etats membres », a répliqué lundi 28 août le ministère des affaires étrangères polonais. En ajoutant : « Les mesures législatives prises, dont le but est la réforme du système judiciaire, sont conformes aux standards européens. »

Le ministre de la justice, Zbigniew Ziobro, a attaqué frontalement Frans Timmermans, le premier vice-président de la Commission, qui depuis des mois tente de faire entendre raison au gouvernement polonais. « Dans [ses] déclarations, on voit une sorte de penchant colonial. (…) A une époque, il y avait des directives de Moscou sur ce que nous devions dire. Au­jour­d’hui, certains voudraient nous donner des ordres. »

La Commission a certes reçu un soutien appuyé de la chancelière allemande, qui refusait jusqu’à présent de pointer du doigt Varsovie. « Quel que soit notre souhait d’avoir de bonnes relations, de bons rapports avec la Pologne, notre voisin (…), nous ne pouvons pas tout simplement nous taire, ne rien dire juste pour avoir la paix », a déclaré Mme Merkel mardi 29 août, ajoutant prendre « très au sérieux ce que va dire la Commission»

Le soutien de Viktor Orban

La Commission peut aussi compter sur la France, le président français s’étant déjà exprimé sans fard sur les dérives polonaises, encore récemment lors de sa tournée en Europe de l’Est. Mais elle refuse de se précipiter. « Nous ne sommes pas à la veille de décisions apocalyptiques », assure une source eu­ropéenne. De fait, Bruxelles ne peut se prononcer de manière définitive, car le processus législatif en Pologne est en suspens de­puis les veto émis par le président ­conservateur, Andrzej Duda, le 24 juillet, sur les deux lois les plus controversées de la réforme judiciaire. La présidence travaille sur de nouvelles moutures des textes, annonçant « un vaste processus de consultation », au grand dam de l’homme fort de la majorité, Jaroslaw Kaczynski, et de la première ministre, Beata Szydlo.

Au-delà des soutiens indispensables de Paris et de Berlin, Jean-Claude Juncker souhaite, si Var­sovie franchit le Rubicon, s’assurer qu’il pourra disposer au Conseil d’une majorité suffisante (quatre cinquièmes des pays membres) pour engager la première étape du déclenchement de l’article 7. L’una­nimité est requise pour décider ensuite de sanctions. Mercredi, le gouvernement hongrois a réitéré son soutien à Varsovie.

Car la procédure « article 7 » est un fusil à un coup. Si elle est stoppée net par un groupe de pays soutiens de la Pologne, l’Union ne disposera plus d’aucun instrument légal de contrainte à l’égard de Varsovie. Il ne lui restera plus que la pression politique, qui, jusqu’à présent, n’a pas été d’un grand effet. La position du Parlement européen pourrait se révéler déterminante : s’il venait à voter une résolution contre les agissements du gouvernement polonais dans les semaines qui viennent, la Commission pourrait se décider à agir, afin de rester à l’initiative et d’éviter le procès en complaisance qui lui a si souvent été fait au sujet de la Hongrie de Viktor Orban.