L’ex-pilote français de F1 Jean Alesi dans sa maison de famille de Villeneuve-lès-Avignon (Gard), le 4 juillet. / CAP

La passion ne dure pas, dit-on ? Entre le pilote de formule 1 Jean Alesi et Ferrari, la relation tiendra quatre ans, entre 1991 et 1995, ponctuées de déclarations enflammées, d’une victoire unique, et d’une rupture douloureuse. Un quart de siècle plus tard, les sentiments de l’« idole vénérée des tifosi » comme l’écrit Le Monde, pour son « équipe de cœur » demeurent intacts. Aucune rancœur chez le Français, qui vit dans sa maison de famille à Villeneuve-lès-Avignon (Gard), bordée de son vignoble Clos de l’Hermitage de 3,5 hectares, avec son épouse Kumiko et leurs trois enfants. Pas de cheval cabré tatoué sur sa poitrine, juste un regret, quelques mises au point et un avenir.

Vêtu d’un pantalon blanc et d’un tee-shirt bleu marine en ce 4 juillet, installé dans un fauteuil souple en cuir blanc, Jean Alesi commence par le commencement, son arrivée à la Scuderia. « Tout et n’importe quoi a été dit. Que Ferrari soit dans mon cœur et tout ce que j’aimais : oui ! » Ses parents siciliens l’ont élevé dans le culte Ferrari. « Là-bas, c’est une religion ! » Particulièrement son père, qui a fait prospérer son entreprise de carrosserie dans la Cité des papes. En revanche, « je n’ai jamais pété les plombs. Je n’ai pas envoyé balader tout le monde parce que Ferrari me proposait quelque chose. » Pourtant la journaliste formule 1 de L’Equipe Anne Giuntini se souvient très bien du jeune Jean : « Il disait : “Je veux conduire pour Ferrari !” Et il tapait du pied ! »

Ferrari voulait Ayrton Senna

Tout s’est joué loin des micros, au Grand Prix de France 1990. Un an avant, à 25 ans, le petit prodige du volant intègre la F1 pour une course chez Tyrrell, huit jours seulement avant la compétition. Il termine 4e, ce qui lui permet de finir la saison chez Tyrrell et d’enchaîner la suivante. « Mais pendant l’hiver 1989-1990, je signe pour trois ans avec Williams. » Sous condition que l’annonce en soit faite avant le Grand Prix de France du 4 juillet 1990. Ses avocats s’inquiètent. Jean Alesi appelle Franck Williams, qui les rassure.

Jean Alesi, conseiller et ambassadeur du circuit du Castellet (Var) auprès de sa propriétaire, Slavica Ecclestone, ex-épouse de Bernie et « amie » du pilote de F1. / CIRCUIT PAUL-RICARD

Sa première saison pleine en F1 débute par un duel d’anthologie avec le Brésilien Ayrton Senna à Phoenix (Etats-Unis). Sur 26 voitures au départ, seules six sont à l’arrivée. « Pour l’intérêt du Grand Prix, Alain Prost a heureusement été remplacé par son jeune compatriote Jean Alesi, commentait Le Monde à l’époque. (…) Le pilote de la Tyrrell-Ford a pris la tête dès le premier virage et n’a cédé le commandement à Ayrton Senna qu’au 35e tour », sur défaillance des pneumatiques.

Deux Grands Prix plus tard, à Imola (Italie), « Ferrari m’appelle ». Convaincu par son frère José que Williams est l’équipe parfaite pour les trois ans à venir, les deux Alesi refusent la proposition de Cesare Fiorio, patron de la Scuderia, d’intégrer l’équipe. « Et là, Cesare devient furax !, raconte Jean Alesi, et me dit : “Comment ! tu as signé, déjà ? Avec qui ? » Jean n’a pas le droit de répondre… En marge de la course suivante, à Monaco, où Jean termine 2e, Cesare Fiori le prévient : « Je sais que tu dois signer avec Williams, mais Williams ne signera pas. »

Le Grand Prix de France 1990 arrive. Et Williams reste effectivement muet. Idem au Grand Prix d’après, à Silverstone. Là, Alesi n’y tient plus et signe, devant sir Franck, son contrat avec Ferrari. Pourquoi ? « Franck [Williams] a espéré jusqu’au bout avoir Senna. » Ferrari déboursera 10 millions de francs pour le transfert à Ken Tyrrell, plus un dédit (non chiffré) à Williams, qui recevra en prime une Ferrari !

En duo avec Alain Prost

Le nouveau « ferrarista » (pilote Ferrari) retrouve Alain Prost à Maranello, arrivé en 1989. Hélas, Ferrari traverse alors une période noire. La voiture n’est pas compétitive. « Je n’ai jamais piloté une voiture aussi mauvaise. Un bon chauffeur de camion, avec de gros bras, aurait pu faire aussi bien que moi aujourd’hui », lance Alain Prost à l’issue du Grand Prix du Japon 1991. Ce qui lui vaut d’être renvoyé sur le champ. Jean Alesi boucle la saison, orphelin, mais récupère le numéro 27, celui immortalisé par Gilles Villeneuve.

1992, 1993, 1994… « Vivre ces trois saisons sans résultat me rendait malade » A Jean Alesi aussi, Ferrari offre une voiture, pour qu’il ne se décourage pas ! La Scuderia croit en lui ; les commentateurs, eux, s’interrogent sur ses capacités à travailler avec les ingénieurs.

La venue d’un autre Français, Jean Todt, à la Scuderia, en juillet 1993, amorce le redressement de l’écurie italienne. « C’était agréable de travailler avec un professionnel », se souvient Jean Alesi. Mais les deux hommes n’ont pas le même timing. Le pilote cherche le résultat immédiat quand le patron construit dans le temps. Alors, « des fois, je n’étais pas patient », sourit l’Avignonnais. Il n’empêche, les tifosi s’enflamment pour ce funambule sur piste mouillée, qu’ils considèrent comme un des leurs. Parmi les pilotes les mieux payés du moment (quelque 40 millions de francs en 1994), Jean Alesi semble maudit. Ce qui fait le bonheur des « Guignols de l’info », l’émission satirique de Canal+. Et le malheur du pilote, profondément blessé par ses caricatures.

Le compte Twitter du fan-club officiel de Jean Alesi immortalise l’unique victoire en Grand Prix du 11 juin 1995, au Canada. / ALESI FAN CLUB

Jusqu’au 11 juin 1995, jour de son 31e anniversaire. Parti en 5position à Montréal (Canada), Jean Alesi se hisse à la 2e place, derrière la Benetton du leader Michael Schumacher. La chance lui sourit enfin au 57e tour, quand l’Allemand rentre au stand et n’en ressort pas ! « Quand j’ai appris que Schumacher était arrêté, les larmes me sont venues, je me suis repris pour ne pas faire de bêtise », confiera Jean Alesi, après avoir remporté son premier Grand Prix. Maudit ? Jean débute son tour d’honneur sous les ovations… avant de caler au milieu du circuit. Descendu de voiture, un moteur rugit derrière lui. « C’était Schumi. » Jean termine son tour d’honneur à cheval sur le capot de la Benetton. Les images font le tour du monde.

Séparation déchirante

La séparation n’en sera que plus déchirante. Mi-août 1995, la nouvelle tombe. Michael Schumacher intègre la Scuderia à la place de Jean Alesi qui va chez Benetton. Certes, le contrat initial se termine en 1995, mais la décision ne passe pas. Par articles de presse interposés, il s’en prend à Jean Todt. « C’était normal de vouloir Michael, mais je me suis trouvé devant le fait accompli. Je n’ai pas trouvé ça élégant, justifie Jean Alesi. Je m’étais exprimé à l’époque, à tort et à travers. Alors que j’aurais pu lui parler directement. C’est ce que l’on a fait après. » Le 28 septembre 1995, toutefois, selon l’AFP, Jean Alesi est sanctionné d’une amende d’un million de francs.

Aux journalistes qui lui reprochent d’avoir sacrifié Jean Alesi, Jean Todt répond : « Ne vous inquiétez pas. Il a beaucoup appris chez Ferrari. Plus qu’ailleurs. » Seulement Benetton « n’est pas une bonne expérience ». Alors que l’écurie vient d’être sacrée championne, tout l’encadrement part chez Ferrari. « On s’est retrouvé avec une voiture sans designer, sans directeur technique. Et avec un Flavio [Briatore] insupportable, qui a démoli ses pilotes. » Il achève son contrat et part. Après deux ans chez Sauber, où il réalise quelques coups d’éclat, puis deux autres chez Prost-Peugeot, il termine sa carrière chez Jordan, avec lequel il avait remporté le titre en F3000 en 1989.

La boucle semble bouclée. Au terme de son 201e Grand Prix à Suzuka le 14 octobre 2001, Jean Alesi, 37 ans, quitte la F1. Consultant à la RAI, de 2007 à 2015, et à Canal+, sans rancune, depuis 2014, il est nommé capitaine de l’équipe de France des jeunes pilotes et parrain du circuit du Castellet (Var). La nouvelle génération l’intéresse, et pour cause : après une saison en formule 4, son fils Giuliano a intégré en 2016 la Ferrari Academy.

Mars 2016 : Giuliano Alesi, 16 ans, intègre la Ferrari Drivers Academy. Ici avec son père Jean, ex-pilote de F1 de la Scuderia. / BORIS HORVAT / AFP