Le président de la République, Emmanuel Macron, et le numéro un de la CGT, Philippe Martinez, le 23 mai à l’Elysée. / Michel Euler / AP

La fin du suspense est proche. Après plusieurs semaines de négociations et de tractations, le gouvernement dévoile, jeudi 31 août, le contenu des cinq ordonnances qui réformeront le code du travail. Avant la présentation officielle qui aura lieu au cours d’une conférence de presse du premier ministre, Edouard Philippe, et de la ministre du travail, Muriel Pénicaud, à midi, le gouvernement présentera le texte aux partenaires sociaux lors d’une réunion plénière à 9 h 45 à Matignon.

Les grandes lignes de la réforme ont été inscrites dans le projet de loi d’habilitation permettant au gouvernement de modifier le code du travail par ordonnances qui a été adopté au début du mois d’août par le Parlement. Le texte est construit autour de trois grands axes : l’articulation entre accords de branche et d’entreprise, le dialogue social dans les entreprises et la sécurisation des relations de travail.

Mais de nombreux points restent encore à éclaircir et les sujets de désaccord entre partenaires sociaux et gouvernement risquent d’être nombreux après l’annonce du contenu de ces ordonnances.

Quels sont les désaccords entre le gouvernement et les partenaires sociaux ?

Parmi les trois thèmes qui composent le projet de réforme du contrat de travail, celui sur le dialogue social dans les entreprises provoque de nombreuses frictions entre les syndicats, le patronat et le gouvernement.

  • La fusion des instances représentatives du personnel

Les syndicats craignent particulièrement la fusion des instances représentatives du personnel (comité d’entreprise, délégués du personnel et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail). Appelée « comité social et économique », la nouvelle entité conserverait l’intégralité des compétences des instances et disposerait d’un budget « au moins égal au budget actuel du comité d’entreprise ». Elle aurait également la possibilité d’inclure en son sein le délégué des syndicats par un accord de branche, ce qui habiliterait le comité à négocier avec la direction.

Dans une interview au Monde, la ministre du travail, Muriel Pénicaud, explique que cette mesure « va enfin permettre un renforcement du dialogue social et économique au plus près du terrain ». Mais les syndicats craignent un appauvrissement des prérogatives et des moyens des instances représentatives. Le numéro 1 de la CGT, Philippe Martinez, ne veut ainsi pas entendre parler de cette réforme. « Fusion des instances, ça veut dire moins de moyens, moins d’élus, moins d’heures de délégation, etc. », prévenait-il dans une interview à L’Humanité mardi.

  • Dans les PME, des négociations avec un délégué du personnel non mandaté par un syndicat

Autre point de crispation : la possibilité pour les petites et moyennes entreprises (PME) dépourvues de délégués syndicaux (DS) de négocier avec un délégué du personnel non mandaté par un syndicat. Si cette mesure semble actée jusqu’à 50 salariés, le gouvernement laisse encore planer le doute sur le sort réservé aux entreprises de 50 à 300 salariés. Pour la ministre du travail, jusqu’ici, « il n’y a pas (…) de dialogue social structuré » dans les sociétés de moins de 50 personnes, car les DS y sont quasi inexistants – 4 % des entreprises de 11 à 50 salariés en ont un.

Cette mesure a reçu l’approbation du président du Medef, Pierre Gattaz. « Il y a une obligation de faire du dialogue social pour tous. (…) Comment faire pour que ces entreprises de moins de 300 salariés puissent négocier pour s’adapter, se réorganiser ?, questionnait-il dans une interview donnée au Parisien mardi. Si ce verrou n’est pas levé, on passera à côté de la réforme. » Mais les syndicats y voient là aussi un contournement de leurs prérogatives.

  • Le barème des dommages et intérêts prud’homaux

Le gouvernement et les partenaires sociaux sont également en désaccord sur le barème des dommages et intérêts prud’homaux en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le gouvernement prévoit de plafonner le montant de ces indemnités à un mois par année d’ancienneté, dans la limite de douze à vingt mois, contre un minimum de six mois de salaire aujourd’hui. Pour un salarié disposant de deux ans d’ancienneté, le plancher de six mois serait donc remplacé par un plafond de deux mois. « Pas question », mettent en garde les syndicats, pour qui le plancher de six mois est une ligne rouge à ne pas toucher.

Pour Muriel Pénicaud, « les dommages et intérêts aux prud’hommes comportent une zone de flou ». « C’est préjudiciable aux employeurs des PME-TPE comme aux salariés. Instaurer un barème sécurisera tout le monde », justifie-t-elle au Monde. Pierre Gattaz dit, lui, attendre le contenu des ordonnances jeudi avant de se prononcer. Mais le président du Medef prévient dans Le Parisien :

« Si la loi dit que le plafond des indemnités prud’homales s’applique, sauf cas de harcèlement ou de discrimination, cela nous ira. Mais si on commence à ajouter cinquante exceptions à la règle, là, non ! »

En contrepartie de la mise en place d’un barème obligatoire, la ministre du travail a accepté de relever de 25 % les indemnités légales de licenciement auxquelles ont droit tous les salariés licenciés pour motif personnel ou économique, aujourd’hui équivalentes à un cinquième de salaire par année d’ancienneté.

  • Le périmètre national des multinationales

Le passage au périmètre national pour apprécier les difficultés économiques des multinationales qui licencient en France est un autre sujet de friction. Cette mesure figurait déjà dans le projet de loi El Khomri en 2016, avant d’être retirée devant la fronde des syndicats. Avec la réforme du gouvernement, les difficultés des multinationales ne seront donc plus appréciées sur un plan mondial.

Un relatif consensus sur l’articulation entre accords de branche et d’entreprise

Le troisième grand thème de cette réforme du travail, qui concerne l’articulation entre les accords de branche et d’entreprise, a posé moins de problèmes que prévu. Alors que le programme d’Emmanuel Macron annonçait la primauté des accords d’entreprise, dans la continuité de la loi El Khomri, les syndicats et le patronat des PME ont obtenu de préserver le rôle de la branche professionnelle.

Un changement de pied salué par le secrétaire général de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly. « L’un des objectifs [de la réforme Pénicaud] au départ, (…) c’était de dire – en gros – que l’on supprime la branche sur toute une série de points, et que tout allait dans l’entreprise [pour négocier]. (…) J’ai dit dès le départ que c’était exclu. Il y a donc des thèmes qui sont garantis dans les négociations au niveau des branches (…). Tout n’est pas réglé, je pense, nous verrons [jeudi] », a-t-il déclaré mercredi dans l’émission « L’Invité des Echos ».

Le gouvernement a redéfini les thèmes relevant exclusivement des branches et ceux relevant des entreprises. Les premiers comprennent notamment les classifications, les salaires minimaux, l’égalité professionnelle ou encore les nouvelles règles pour les contrats courts.

Trois autres thèmes pourraient être ajoutés, si les branches le décident, ou laissés à la négociation en entreprise : le compte de prévention de la pénibilité (auparavant négocié exclusivement par les branches), le handicap et les conditions et moyens d’exercice d’un mandat syndical. Pour tous les autres sujets, la primauté sera donnée aux accords d’entreprise, même s’ils ne sont pas plus favorables aux salariés, comme c’était le cas jusqu’ici.

Le compte n’y est donc pas pour la CFE-CGC. Pour son président François Hommeril, « on va passer une étape supplémentaire » dans « l’inversion de la hiérarchie des normes ». « Des éléments de la rémunération, réglés aujourd’hui par la convention collective, comme le 13e mois ou la prime d’ancienneté, qui sont des éléments substantiels de la rémunération, pourraient revenir à la négociation dans les entreprises », regrette-t-il.