Ancien guitariste de Kurt Vile, figure de la scène rock indépendante de Philadelphie, Adam Granduciel est parti voler de ses propres ailes en 2009, pour fonder The War on Drugs. Le multi-instrumentiste y révèle d’emblée un talent singulier pour fondre des textures atmosphériques incandescentes dans des compositions influencées par Bruce Springsteen et Bob Dylan. Désormais sous contrat avec la major Atlantic, son groupe creuse son sillon sur un quatrième album abouti, A Deeper Understanding.

Vous avez la réputation d’être un musicien solitaire et perfectionniste en studio. Pour A Deeper Understanding, vous avez souhaité vous orienter davantage vers un esprit collectif...

J’ai fini par me lasser par ce temps passé en studio à peaufiner pendant des jours mes chansons. Je me suis davantage intéressé à développer une certaine spontanéité avec mes musiciens. Leur donner davantage de temps pour qu’ils puissent contribuer personnellement aux chansons. Ces chansons sont toujours les miennes, mais je me sentais mieux préparé avec mon écriture. Aussi, je voulais que l’album soit plus robuste sur le plan scénique, fidèle à l’identité actuelle du groupe.

The War On Drugs - Holding On [Official Video]
Durée : 06:30

A Deeper Understanding est votre premier album pour Atlantic. Thinking of a Place, la première chanson tirée de l’album, sortie en avril lors du Record Store Day (version américaine du Disquaire Day) se distinguait par sa longueur, plus de 11 minutes. Etait-ce un moyen de revendiquer votre liberté artistique ?

A la vérité, l’idée de sortir ce titre pour le Record Store Day ne venait pas de moi, mais des gens du label. Ils ne se sont pas opposés à la longueur de la chanson, car ils l’adorent. Nous avions commencé à mixer ce morceau à la mi-octobre 2016, mais l’album n’a pas été terminé avant le mois d’avril. Finalement, le Record Store Day fut une excellente source de motivation pour terminer le mixage de Thinking of a Place.

Votre troisième album, Lost in the Dream, paru en 2014 sur le label Secretly Canadian, figurait dans bon nombre de classements musicaux de fin d’année. Avez-vous senti une certaine pression pour enregistrer son successeur ?

J’ai commencé à réfléchir à l’album lorsque nous étions en tournée pour Lost in the Dream, et je dois avouer que cela me rendait un peu nerveux. Mais en définitive, on sait bien qu’on ne peut rien contrôler. On se contente de suivre son instinct et donner son meilleur pour faire en sorte que le disque tienne la route.

Votre signature sonore, atmosphérique et ample, est toujours reconnaissable sur A Deeper Understanding, mais cette fois habitée d’une nostalgie et d’une introspection qui était moins perceptible sur les précédents albums.

Il y a certainement des éléments plus personnels sur ce disque. La musique est pour moi un moyen de m’exprimer par rapport à mon expérience personnelle. Lorsque j’avais 20 ans, je n’aurai jamais imaginé être signé sur un gros label, ni même devenir un musicien professionnel qui connaît un certain succès. J’adorais juste jouer de la guitare et j’espérais trouver un travail qui me permettrait de pouvoir faire de la musique à côté. Même lorsque j’ai commencé à beaucoup jouer avec Kurt Vile, à Philadelphie, je n’imaginais pas pouvoir sortir un album et partir en tournée. J’espère être toujours le même, partager les même valeurs qu’à mes débuts. Mais il aurait été stupide de ma part de ne pas reconnaître que je sortais un album attendu sur une major. Je ne voulais pas pour autant composer d’hymnes rock, seulement écrire sur des choses qui me tenaient à cœur, sur les choix que l’ont fait dans la vie, me réconcilier avec le passé.

The War on Drugs - Pain [Official Video]
Durée : 05:36

A l’époque du premier album de The War on Drugs, Wagon Wheel Blues, sorti en 2009, vous vous produisiez sur scène sous une formule brut en trio (guitare, basse, batterie), loin de la sophistication de vos enregistrements studio. Les choses ont beaucoup changé depuis, puisque le groupe contient six membres.

C’était une période où nous essayons encore de trouver la bonne formule sur scène. Il y avait beaucoup d’éléments qui entraient en ligne de compte : je venais d’enregistrer ce premier album avec des amis, je ne savais pas comment être un leader ni comment se déroulait une tournée. Je ne me sentais pas encore à l’aise sur scène… De plus, j’ai tellement joué dans le groupe de Kurt Vile que je ne savais pas comment retranscrire ma propre musique. Une des choses les plus gratifiantes pour moi, c’est de voir aujourd’hui le chemin parcouru par le groupe, quand je me rappelle alors de ces débuts tellement chaotiques…

Je ne pouvais pas rêver mieux que le groupe tel qu’il est aujourd’hui. J’ai pourtant au départ, toujours joué dans avec de nombreux musiciens. Lors de mes tous premiers concerts donnés à Philadelphie, le groupe était un sextette, avec moi à la guitare, Kurt, deux batteurs et deux autres musiciens. Les chansons étaient différentes, écrites très rapidement. Mais j’ai toujours gardé en tête d’avoir un grand groupe produisant un son puissant.

Cette confusion avec Kurt Vile fut troublante sur les deux premiers albums de The War on Drugs, puisque celui-ci y collaborait. Il a fallu attendre le succès critique de Lost in Dreams pour que le public réalise que The War on Drugs était le propre projet d’Adam Granduciel.

Tout à fait. Dès le départ, Kurt Vile n’a jamais voulu faire partie de War on Drugs sur du long terme. On enregistrait ensemble l’album à la maison, partageait des idées en studios. Puis on partait sans lui tourner en Europe. Il fallait passer par ses étapes pour apprendre et grandir. Ce fut un long processus, album après album, il a fallu franchir tellement d’aspects techniques, que ce soit en terme d’instrumentation, de volume sonore…

Adam Granduciel (au centre), du groupe de rock américain The War on Drugs. / DR

Comment décririez-vous la musique de The War On Drugs ?

Je ne saurais vraiment dire. Si quelqu’un me demande comment nous sonnons, je lui répondrais que nous jouons de la basse, batterie et guitare avec un son un peu psychédélique, mais pas vraiment non plus. Je pense qu’on retrouve dans notre musique des éléments de nos disques préférés : du rock américain classique, des groupes anglais aussi.

On peut entendre dans votre musique une mixture entre l’album Before and After Science, de Brian Eno, Tunnel of Love, de Bruce Springsteen, et le son des années 2000.

Je trouve que c’est parfait. Tunnel of Love est un de mes albums préférés, les deux dernières minutes de la chanson One Step Up m’ont longtemps obsédé. J’aime aussi beaucoup Darkness in the Edge of Town, The River et The Ghost of Tom Joad. Ce dernier m’a d’ailleurs davantage marqué que Nebraska, qui est souvent considéré comme son chef d’œuvre, car nettement plus sombre et suicidaire, accentué par ce son d’écho très particulier. Je suis un vrai fan de Springsteen et je me moque de paraître cool.

The War On Drugs - Strangest Thing [Official Audio]
Durée : 06:42

The War on Drugs, A Deeper Understanding (Warner/Atlantic). thewarondrugs.net
En concert au Bataclan le 6 novembre, à Paris.