Jon Snow, l’un des personnages principaux de la saga Game of Thrones. / Helen Sloan / AP

« Varys empoisonna Daenerys et un autre des hommes morts. » Quelques chapitres plus loin : « Jamie tua Cersei, fut froid et plein de paroles, et Jon pensa qu’il était le loup désormais » S’agirait-il de la fuite d’un scénario de la série Game of Thrones ? Ou George R.R. Martin aurait-il pris du LSD avant d’écrire Winds of Winter, le sixième tome attendu depuis cinq ans pour A Song of Fire and Ice, la saga qui en est à l’origine ?

Rassurez-vous, aucun spoiler dans la mort de ces deux personnages. L’auteur de ces lignes est une intelligence artificielle (IA), codée par le développeur américain Zack Thoutt à partir des précédents livres de George R.R. Martin. Cinq chapitres ont été publiés et le respect de la grammaire et du vocabulaire y est assez impressionnant.

« He was not looking at him at once » (« Il ne le regardait pas une fois ») trouve-t-on au chapitre 2. Le sixième propose même une ligne de dialogue au ton très réaliste pour les romans : « I am paying a price, lad » (« Je paye un prix, garçon »). Mais si la structure des phrases est reconnaissable, elle ne suffit pas à leur donner du sens. L’intrigue générale et la signification du texte n’ont aucune cohérence.

Exemple au chapitre 4 : « A cent mètres à l’est, Ser Jorah s’attarda là où les bannières descendaient un long chemin de pluie. Le marais cherchait du ragoût de bœuf et de baragne, froid comme trois de ces couleurs, des morceaux de beurre. » De quoi relativiser ce que sont aujourd’hui capables de faire les IA, même si de précédents exemples de logiciels sont parvenus à écrire des textes plutôt efficaces dans des contextes plus limités, comme des résumés de matchs sportifs.

De l’importance du contexte

Pour entraîner son intelligence artificielle, Zach Thoutt a utilisé un réseau de neurones réccurents. La particularité de cette méthode d’apprentissage pour machine est qu’elle fonctionne par boucles et lui permet de prendre en compte un contexte dans ses calculs – ce qui la rend très efficace pour traiter du texte ou des données. Le problème est que si ce système permet à l’IA d’avoir une excellente mémoire à court terme, il lui manque la capacité d’une mémoire à long terme. L’ingénieur a donc également utilisé une autre méthode, appelée « long short-term memory », qui permet de pallier ce problème.

« Un modèle parfait prendrait en compte tout ce qui est arrivé précédemment », explique Zack Thoutt dans un article de Motherboard. « Il n’écrirait pas que certains personnages sont en vie alors qu’ils sont morts depuis deux tomes. Mais en réalité le modèle n’est pas encore assez bon pour le faire. [...] Le modèle essaye vraiment d’écrire un nouveau livre et de tout prendre en compte, mais il fait beaucoup d’erreurs, car une technologie capable d’entraîner un générateur de texte parfait, qui peut se souvenir d’intrigues complexes de plus d’un million de mots, n’existe pas encore. »

Ce n’est pas la première fois qu’un développeur s’attelle à faire écrire une IA. De nombreuses expériences ont été lancées avec la fanfiction, ces textes écrits par les fans pour prolonger leurs univers favoris. Cette énorme quantité de textes en libre accès et répertorié sur des sites rend la gestion des données beaucoup plus simple pour les ingénieurs.

En attendant, les intelligences artificielles ne remplaceront pas les auteurs, pour l’instant – ne serait-ce que parce qu’elles ne peuvent pas comprendre le caractère des personnages. Jon, par exemple, est un homme droit et plein de principes dans les livres comme dans la série. Mais dans le chapitre 4 écrit par l’IA, ses pensées semblent beaucoup moins pures : « Jon n’avait pas besoin de partager son verre ou une partie de son verre, mais peut-être avait-il besoin de partager ceci, une petite fille grosse et aveugle. »