Xi Jinping, le président chinois, et Narendra Modi, le premier ministre indien, le 16 octobre  2016 à Goa, en Inde. / Mihail Metzel/POOL / Sputnik

Après la confrontation, voici venu le temps de la photo de famille. Plus de deux mois de face-à-face tendu entre les armées chinoise et indienne sur un plateau de la région himalayenne n’ont pas dissuadé les dirigeants des deux pays de se donner rendez-vous, du dimanche 3 au mardi 5 septembre, dans la ville chinoise de Xiamen (sud-est).

La cité balnéaire doit accueillir le 9e sommet des BRICS, ce forum des grandes économies émergentes que sont le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Quelle qu’ait été la gravité des tensions sino-indiennes, opportunément retombées fin août, le président chinois Xi Jinping comme le premier ministre indien Narendra Modi ont maintenu cette rencontre dont le thème, à l’intitulé ronflant, promeut « un partenariat renforcé pour un avenir plus brillant ».

Une entente bien calculée. « Leur point commun, auquel ils tiennent, est de se percevoir comme les porte-parole du monde émergent face à un Occident dont ils se méfient, explique Jean-Joseph Boillot, conseiller au Cepii (Centre d’études prospectives et d’informations internationales). Le forum des BRICS leur offre pour cela la bonne enceinte. »

Rivalité sur les « nouvelles routes de la soie »

Malgré cette harmonie de façade, la relation entre le dragon chinois et l’éléphant indien est avant tout gouvernée par la rivalité. Au premier rang des sujets contentieux figurent les « nouvelles routes de la soie ». L’initiative, portée par Pékin, vise à développer un maillage terrestre, maritime et numérique de l’Extrême-Orient à l’Europe occidentale. « Ce projet contourne l’Inde, qui s’en méfie énormément », souligne Jean-François di Meglio, directeur de l’institut de recherche Asia Centre.

New Delhi est vent debout contre la construction d’une voie rapide passant par le Cachemire pakistanais, une région dont il revendique la souveraineté. Le gouvernement a boudé le grand sommet international consacré aux routes de la soie organisé à Pékin en mai. Quelques jours après, il dévoilait un projet concurrent, surnommé « route de la liberté », en coopération avec le Japon – autre grand rival de la Chine. Son objectif : dynamiser des corridors maritimes entre le sous-continent, l’Afrique, le Sud-Est asiatique et le Pacifique.

« La question qui les occupe est de savoir s’il y a de la place pour deux géants dans l’Asie du XXIe siècle », résume M. di Meglio. Une compétition qui se joue sur le plan stratégique mais aussi économique. Ces derniers mois, la croissance indienne a décéléré, dans la foulée du plan de démonétisation engagé par M. Modi. Mais depuis 2015, celle-ci a dépassé en dynamisme l’économie chinoise. En 2016, New Delhi affichait un taux de croissance de 6,8 %, contre 6,7 % pour Pékin, son rythme le plus faible depuis un quart de siècle.

Le PIB chinois pèse cinq fois plus que celui de l’Inde

La convergence entre les deux pays n’est pourtant pas pour demain. Le produit intérieur brut de la Chine, deuxième économie mondiale, pèse cinq fois plus lourd que celui de l’Inde. « L’écart est tel qu’il faudrait un siècle à l’une pour rattraper l’autre, surtout compte tenu de leurs dynamiques qui sont très différentes, affirme M. Boillot. La Chine et l’Inde sont le yin et le yang des modèles économiques asiatiques. »

La première a enregistré trois décennies d’une croissance insolente fondée sur une industrialisation à marche forcée, étroitement pilotée par le pouvoir chinois. Atelier du monde qu’elle inonde de ses produits, elle s’est imposée comme le premier exportateur de la planète, entre autres grâce à un réseau d’infrastructures performant.

La seconde fonctionne selon un mode décentralisé, rural et fortement tertiarisé. Elle joue le rôle de hub d’innovation dans certains secteurs comme la santé ou les logiciels. Sur le plan commercial, le pays est un Petit Poucet comparé à son voisin. Protectionniste, il n’hésite pas à se défendre contre l’afflux de produits « made in China ». Selon le ministère du commerce chinois, l’Inde aurait lancé pas moins d’une douzaine de procédures anti-dumping contre Pékin au premier semestre 2017, plus que n’importe quel autre pays.

Des économies qui pourraient être complémentaires

Ces modèles ne sont pas figés. La Chine de Xi Jinping ne parle que de rééquilibrer son économie de l’industrie vers les services, et de la production de masse vers la spécialisation et le haut de gamme. L’Inde de Narendra Modi, a contrario, rêve d’industrialisation.

Son gouvernement réputé pro-business en a fait le pilier de son programme économique à travers la campagne « make in India » : un appel aux investisseurs étrangers à venir s’implanter dans le sous-continent pour profiter à la fois de son immense marché (1,3 milliard d’habitants) et de son faible coût du travail. Mais cette transformation se heurte à plusieurs obstacles parmi lesquels une bureaucratie titanesque et un déficit criant d’infrastructures.

« L’Inde manque d’infrastructures alors que la Chine est surcapacitaire et aurait donc tout intérêt à lui en fournir, fait remarquer Mahamoud Islam, économiste spécialiste de l’Asie chez l’assureur-crédit Euler-Hermes. Ces deux économies jouent sur deux tableaux différents mais elles sont aussi complémentaires et pourraient en profiter. » Ce n’est aujourd’hui guère le cas.

Des initiatives essentiellement symboliques

Le club des Brics peut-il contribuer à changer la donne ? « Il serait remarquable qu’il permette de renforcer l’intégration économique entre les deux voisins qui est aujourd’hui quasi-nulle », note M. di Meglio. L’Inde n’est que le 13e partenaire commercial de la Chine. Laquelle entretient des relations bien plus intenses avec les Etats-Unis, l’Europe, et le reste de l’Asie où elle a atomisé ses chaînes de production.

Mais les BRICS ont beau multiplier les messages sur la nécessité d’une coopération accrue, le groupe a jusqu’ici accouché d’initiatives essentiellement symboliques, si ce n’est la création, à l’été 2015, de leur Nouvelle banque de développement. L’essentiel pour ses membres, décrit à l’agence AP Steve Tsang, du China Institute de la SOAS, l’Ecole des études orientales et africaines de l’université de Londres, est de projeter une image de consensus à travers des communiqués finaux volontairement « insipides ».