Raila Odinga, adversaire d’Uhuru Kenyatta, à son arrivée à la Cour suprême, à Nairobi, vendredi 1er septembre. / Ben Curtis / AP

Les épaules rentrées, les traits creusés, le président Uhuru Kenyatta avait, en cet après-midi du vendredi 1er septembre, la mine des très mauvais jours.

Quelques heures plus tôt, la Cour suprême du Kenya avait invalidé sa réélection au scrutin du 8 août. « Personnellement, je suis en désaccord avec cette décision, mais je la respecte », a articulé péniblement le chef de l’Etat dans une allocution télévisée. « Nous ne sommes pas en guerre avec nos frères et nos sœurs (…) Paix. Amani », a-t-il répété, en anglais et en kiswahili. Comme pour mieux s’en convaincre.

Mais le sourire forcé et le ton faussement apaisé ne sauraient cacher totalement sa colère. Car jamais dirigeant africain n’avait subi une telle humiliation. Sur le continent, c’est la première fois qu’une cour de justice annule l’élection d’un chef de l’Etat, selon l’opposition kényane. La victoire du président sortant a été décrite comme « invalide, nulle et non avenue » par le président de la Cour, David Maraga. Un verdict implacable, forçant le pouvoir à organiser un nouveau scrutin sous soixante jours.

« On n’a aucun plan »

Tout devait pourtant être donné à Kenyatta, ce président en col blanc, homme le plus riche du pays et fils du père de la nation, Jomo Kenyatta, premier président du pays (1964-1978). Il avait remporté haut la main la présidentielle du 8 août, avec 54,27 % des voix – soit plus d’1,4 million de voix d’avance – contre son adversaire, l’opposant Raila Odinga, 72 ans, qui avait obtenu 44,74 % des suffrages pour sa quatrième et dernière campagne présidentielle. Un scrutin salué par les observateurs.

Depuis trois semaines, Kenyatta pavanait. Il se voyait déjà leader incontesté et démocratique de l’Afrique centrale orientale. Le retournement de situation a pris de court tout Nairobi. La décision de l’opposition, le 18 août, de saisir les tribunaux pour contester le résultat de l’élection, sonnait comme un renoncement. « On n’a rien vu venir, on n’a aucun plan, on est un peu perdu… », avoue ainsi, dépité, un diplomate en poste au Kenya.

Mais ce vendredi, les rôles se sont brutalement inversés. Et le président, amer, pouvait bien ronchonner devant ses partisans, dans un rassemblement improvisé au cours de l’après-midi, pestant contre les juges « escrocs » de la Cour suprême. Le 1er septembre était le jour d’Odinga. Celui-ci ne s’est d’ailleurs pas privé de parader dans les rues de la capitale, entouré de partisans exaltés, portant à la main branche d’arbre ou orange sucrée – son fruit fétiche.

« Un nouveau Kenya est né ! », a lancé Raila Odinga vendredi, fustigeant la commission électorale indépendante (IEBC), décrite comme « pourrie », et ses dirigeants, coupables aux yeux de l’opposant d’un « crime monumental contre le peuple », qu’il a appelés à démissionner avant de « faire face à des poursuites criminelles ».

Pourtant, à l’heure actuelle, nul ne connaît les raisons exactes qui ont poussé la Cour suprême à invalider le scrutin du 8 août. Vendredi, celle-ci n’a en effet donné que son verdict : un jugement complet et détaillé doit être rendu sous vingt et un jours.

La décision n’a pas été prise à l’unanimité : deux des sept juges de l’institution ont publiquement déclaré s’opposer à la décision finale de la Cour. La plus haute juridiction du pays n’a par ailleurs désigné ni vainqueur ni vaincu et de pointer la responsabilité de la commission électorale, qui n’aurait selon elle pas réussi à conduire le scrutin « en accord avec la Constitution ».

L’essentiel des critiques devrait se concentrer sur la transmission électronique des résultats, entaché d’irrégularités. « Dans tous les cas, c’est une excellente décision et un moment historique !, se réjouit Nic Cheeseman, professeur à l’université de Birmingham et expert de la vie politique kényane. Cela prouve que la Constitution ne peut pas être juste vue comme un texte creux. Qu’on ne peut pas se satisfaire d’un scrutin de second zone. L’Afrique a le droit de réclamer des élections de qualité. C’est un signal important pour la démocratie sur le continent. »

Interrogations

Ce rebondissement soulève néanmoins un nombre infini de questions. « Quand et comment va se tenir le nouveau scrutin ? Comment améliorer le système en si peu de temps ? Qui va imprimer les bulletins ? Quelle technologie électronique utiliser ?, s’interroge M. Cheeseman. Si, comme Odinga l’exige, il faut démettre la commission électorale et en nommer une nouvelle, cela prendra plus que soixante jours… »

Faudra-t-il reporter le scrutin à l’année prochaine ? Pour le moment, le président sortant et le chef de l’opposition ont accepté de s’en remettre à nouveau au peuple d’ici deux mois. « Je suis de retour en mode campagne ! », a assuré Uhuru Kenyatta. Raila Odinga, de son côté, a appelé « tous les partis politiques et les parties prenantes » ainsi que le Parlement à « se rassembler » afin de réformer en profondeur la commission électorale.

Une demande vraisemblablement destinée à gagner du temps et de l’argent – les comptes de l’opposition étant à sec après des mois de campagne –, mais aussi de précieuses voix. Car malgré la déroute des tribunaux, le Parti Jubilee (JP) d’Uhuru Kenyatta semble bel et bien majoritaire dans le pays. Ce dernier est en effet sorti grand vainqueur des élections locales et législatives, organisées le même jour que la présidentielle, effectuant des percées notables dans plusieurs bastions de l’opposition, rassemblée au sein de la coalition Super Alliance nationale (NASA).

Seule certitude, à l’heure actuelle : dans un Kenya gangrené par la corruption et écœuré par ses politiques, il existe enfin une institution perçue comme réellement indépendante par tous les partis, dont la décision est respectée et s’impose à tous. Une institution qui aura la lourde charge de déclarer la validité du prochain scrutin.