Photo non datée et diffusée le 3 septembre par l’agence officielle nord-coréenne KCNA montrant le leader nord-coréen, Kim Jong-un, donnant des instructions sur le programme nucléaire de Pyongyang. / KCNA KCNA / REUTERS

Pour Antoine Bondaz, spécialiste de l’Asie du Nord-Est et notamment de la Corée à la Fondation pour la recherche stratégique, menacer Pyongyang de représailles militaires comme le fait le président américain, Donald Trump, renforce la mentalité d’état de siège qui perdure en Corée du Nord et permet au régime de maintenir son contrôle sur la population.

Ce sixième essai nucléaire nord-coréen est-il une provocation ou une nécessité technologique ?

Provoquer, c’est attendre une réponse de la communauté internationale. L’objectif principal de la Corée du Nord est plutôt de démontrer la crédibilité de son programme nucléaire et balistique. Ce sixième essai nucléaire s’inscrit dans une véritable campagne qu’a initiée Kim Jong-un. Il a fait procéder à quatre essais nucléaires depuis qu’il est arrivé au pouvoir fin 2011, contre deux sous Kim Jong-il (1994 à 2011), et à plus 80 tirs de missiles balistiques, contre 16 sous son père.

L’objectif principal est d’améliorer la technologie nord-coréenne, mais il y a aussi un aspect politique, qui est d’envoyer un message aux Etats-Unis, à savoir que les Nord-Coréens disposeraient désormais d’une capacité balistique intercontinentale nucléaire. C’est en tout cas l’affirmation de la Corée du Nord.

Cependant, rien aujourd’hui ne permet de démontrer que la bombe qui a été présentée samedi, la veille de l’essai, est véritablement celle qui a été testée. Et rien ne garantit non plus que cette bombe puisse déjà équiper un missile intercontinental, le Hwasong-14.

A quel niveau d’aboutissement en est ce programme nucléaire et balistique ?

Vu l’importance de la secousse qu’a provoquée l’essai nucléaire de dimanche, cette bombe est de loin la plus puissante jamais testée, et très probablement une bombe à hydrogène, mais encore une fois cela ne veut en aucun cas dire avec certitude que la Corée du Nord est capable dès à présent d’équiper un missile intercontinental d’une bombe H et de frapper le territoire américain avec.

Se pose la question de la miniaturisation de la bombe et, du côté du missile intercontinental, celle du véhicule de rentrée dans l’atmosphère (soumis à des chaleurs et pressions extrêmes) qui accueille la bombe.

C’est pour ça que la Corée du Nord aura besoin de réaliser d’autres essais balistiques intercontinentaux pour améliorer sa technologie et tenter de nous convaincre qu’elle la maîtrise. Le scénario d’un nouvel essai balistique intercontinental passant au-dessus du Japon avec une portée bien plus importante que les 2 700 km parcourus par un missile fin août est probable.

Les sanctions n’ont donc pas d’impact sur les ambitions nucléaires de la Corée du Nord ?

Les sanctions sont nécessaires pour afficher l’unité de la communauté internationale dans sa condamnation et tenter de ralentir ce programme. Cependant, à l’évidence, les sanctions seules sont insuffisantes pour contraindre la Corée du Nord à se dénucléariser. Et ce pour une raison simple : la Corée du Nord considère que les bénéfices militaires – la dissuasion – et politiques – la légitimité du régime – continuent de dépasser le coût économique des sanctions et l’isolement diplomatique qu’elles entraînent.

Comment la population nord-coréenne perçoit-elle le programme nucléaire ?

Les programmes nucléaire et balistique ont une dimension militaire, mais aussi politique. Ils sont associés à l’identité du régime. Le statut de puissance nucléaire, par exemple, a été inscrit dans la Constitution en 2012. Surtout, ils permettent de renforcer l’autorité de Kim Jong-un, la légitimité du régime et la cohésion nationale, en présentant la Corée du Nord comme une grande puissance technologique, assiégée sous l’hostilité américaine.

De ce point de vue, quel est l’impact des Tweet de Donald Trump ?

Ses déclarations, que ce soit au mois d’août [lorsqu’il avait promis « le feu et la furie » à la Corée du Nord si elle menaçait le territoire américain] ou ces derniers jours, notamment sur la potentielle option militaire, sont autant d’éléments de langage que la propagande nord-coréenne peut récupérer et utiliser afin de renforcer la mentalité d’état de siège qui perdure en Corée du Nord et permet au régime de contrôler la population. C’est pour ça que ses sorties sont complètement contre-productives. Dire à la Corée du Nord qu’on peut la raser de la carte en utilisant contre elle l’arme nucléaire, c’est légitimer en interne encore plus son programme.

Quand la France, comme les autres pays occidentaux, continue d’appeler à un démantèlement complet et vérifiable du programme nucléaire, n’est-ce pas irréaliste ?

Ces termes précis sont utilisés par les Occidentaux et leurs alliés depuis 2006. L’objectif à long terme est toujours le même : la dénucléarisation. A court terme, c’est clairement impossible. Cela doit cependant rester le but à long terme. Car reconnaître de jure la Corée du Nord comme une puissance nucléaire aurait des conséquences considérables sur le traité de non-prolifération ainsi que sur les alliances américaines avec le Japon et la Corée du Sud, qui pourraient potentiellement se nucléariser à leur tour. Il serait difficile de dire à Tokyo et Séoul que Pyongyang a le droit mais pas eux.

On peut négocier, dialoguer, essayer de trouver un accord, sans pour autant reconnaître la Corée du Nord comme une puissance nucléaire. Un gel à court terme, par exemple, ne vaudrait pas reconnaissance officielle à l’instar de l’accord américano-nord-coréen mort-né de 2012.

Penser que l’on peut parvenir dès aujourd’hui à la dénucléarisation en continuant sur la même voie est aussi irréaliste que dangereux, pour une raison simple : pendant ce temps, et c’est ce qui s’est produit ces dix dernières années, la Corée du Nord poursuit le développement de son programme.

L’Europe a-t-elle un rôle à jouer dans cette crise ?

L’Europe a un rôle-clé, d’abord en faisant appliquer les sanctions et en s’assurant que tous les Etats, notamment nos partenaires en Afrique et au Moyen-Orient, les mettent en œuvre de manière stricte. C’est crucial pour que l’Union européenne soit crédible. L’Europe peut également servir d’intermédiaire afin de faciliter le dialogue et d’éviter une escalade militaire qui aurait un impact dramatique pour les intérêts européens en Asie.