Guillaume Rambourg dans les locaux parisiens de Riot Games, en juillet. / W.A.

Guillaume Rambourg est directeur général de la jeune antenne française de Riot Games, l’éditeur du jeu-phénomène League of Legends, dont les finales européennes se sont tenues les 2 et 3 septembre à l’AccorHotels Arena de Paris Bercy. Il livre au Monde son bilan de l’événement, et donne son regard sur les perspectives de l’e-sport d’intégrer les Jeux olympiques.

Quel bilan vous tirez de ces finales européennes à Paris ?

Le bilan est plutôt positif, pour plusieurs raisons. Du point de vue de l’affluence, 19 000 personnes sur deux jours, c’est notre record pour une finale européenne. Le précédent était de 12 000 spectateurs, à Hambourg (en avril dernier).

Au-delà du chiffre, ce que je retiens, c’est que l’on a pu prouver que le public français est très passionné : il est venu paré de couleurs, de baguettes… (rires). On a essayé d’amplifier ça localement avec des codes issus du football, avec des tambours, des chants lancés au mégaphone, etc. Il y a eu une ambiance assez folle.

Il y a aussi eu de l’émotion. Je retiens surtout ce joueur, Rekkles, qui a connu des moments difficiles cette saison, et qui a fini sous les hourras de la foule. Il avait les yeux mouillés, c’était vraiment sympa. Et puis on a eu un petit Français de 18 ans, Hans Sama, en finale. Il a perdu, mais je pense que ça a été une expérience formidable pour lui et ses parents.

Cet événement s’inscrit-il dans un projet de développement plus général de l’e-sport en France ?

En fait le timing est plutôt heureux, car cet événement à Paris, nous l’avions annoncé depuis de nombreux mois, il allait se dérouler quoi qu’il arrive. Et puis il y a eu les déclarations de Tony Estanguet [coprésident du comité Paris 2024], qui souhaite à la rentrée faire un tour de table avec tous les acteurs de l’e-sport pour mieux comprendre la discipline et entamer un dialogue. Plus récemment, Thomas Bach, le président du CIO, disait que l’e-sport était un axe potentiellement à développer, mais que les jeux vidéo se devaient d’être moins violents. Nous sommes ouverts au dialogue.

Par rapport aux critères d’éligibilité du CIO pour intégrer l’e-sport, et notamment les déclarations de Thomas Bach, si je compare à des disciplines comme la boxe, le judo, l’escrime, le tir au pistolet, on peut se demander si League of Legends est si violent que ça. Je pense qu’il y a des critères que l’on peut remplir. Par exemple League of Legends est universel, car il compte 100 millions de joueurs dans le monde. L’accessibilité est là, car le jeu est gratuit. Toutefois deux critères suffisent-ils ? Probablement pas.

Donc ayons une discussion, mettons de côté les idées préconçues ou les préjugés sur le jeu vidéo, ayons une conversation pragmatique et intelligente et voyons ce que l’on peut faire.

Intégrer les JO de 2024, c’est désormais une ambition assumée pour Riot et League of Legends ?

Ce n’est pas une fin en soi. Certes, League of Legends est une discipline compétitive, qui se joue en équipe, avec une dimension tactique, stratégique, mécanique… Il y a de nombreux points communs avec le sport mais on ne cherche pas vraiment à mettre d’étiquette. Nous, notre objectif, c’est de créer une pratique cérébrale et compétitive qui fasse plaisir aux joueurs du monde entier.

Maintenant, c’est vrai qu’aller aux Jeux olympiques permettrait de démocratiser l’e-sport et expliquer au monde entier en quoi consiste cette discipline. Il y a un vrai travail d’éducation et de synthèse à faire et les Jeux olympiques seraient la scène idéale pour cela. D’autant que l’on a de nombreuses valeurs en commun. On fait tout ce que l’on peut pour promouvoir le fair-play de notre côté, le jeu d’équipe, des valeurs saines et positives, nos joueurs ont des préparateurs psychologiques et physiques pour avoir un esprit sain dans un corps sain… Mais il faut que l’on réfléchisse au format qui serait pertinent pour l’introduire aux Jeux olympiques.

Les Jeux olympiques fonctionnent par nations, ce qui est très éloigné du modèle de League of Legends.

C’est vrai, aujourd’hui l’e-sport est surtout constitué de clubs. Tôt ou tard il faudra se pencher sur la dimension « pays », c’est certain. Pour cela il faut déjà des scènes locales fortes et compétitives, avec d’importants viviers de talents locaux, et par ricochet une forte identification locale aux équipes locales. Quand on aura ça, on aura tous les ingrédients nécessaires pour faire une équipe nationale dont les gens soient fiers et avec des talents derrière. C’est la prochaine étape pour nous. On pourrait apprendre beaucoup du CIO et de leur capacité à démocratiser un sport dans le monde entier. Il y a des points de vue très intéressants à échanger.

Comment accepter qu’une discipline soit un jeu promu par une entreprise privée ? Rien n’est plus éloigné des valeurs de l’olympisme.

C’est certain que les valeurs de Pierre de Coubertin étaient des valeurs universelles, dans lesquelles les intérêts privés n’entraient pas en ligne de compte. Toutefois si je prends un sport parmi tant d’autres, le football, est-ce encore le sport du peuple ? Quand on voit le droit de regard de la FIFA, et à quel point la discipline est devenue privatisée, il y a des questions que l’on peut se poser. La ligne n’est plus clairement aussi définie qu’elle pouvait l’être en Grèce antique ou même à l’époque de M. de Coubertin.

Il y a une discussion à avoir, des points de vue à entendre, et s’il faut un jour créer un organisme mondial de régulation de l’e-sport qui soit l’intermédiaire privilégié du CIO, on est ouvert à tout. Il faut regarder la situation avec pragmatisme et honnêteté des deux côtés.