« On est presque prêt là, non ? », dit tout sourire Stéphane Clair, installé dans le restaurant qui surplombe la piste du Castellet (Var). Dans neuf mois, le 24 juin 2018, la formule 1 posera à nouveau son barnum en France, après dix ans d’absence. Et le directeur du circuit Paul-Ricard s’amuse du travail qui reste à faire : « Ce que vous voyez là n’a rien à voir avec ce que vous verrez », corrige-t-il en montrant le tracé qui sera modifié.

La dernière course de F1 sur le tracé varois remonte à 1990. Après cela, le Grand Prix de France avait rejoint Magny-Cours, dans la Nièvre. Son retour dans le Sud-Est après tant d’années a nécessité du temps, de la diplomatie… et de l’argent. D’abord pour convaincre la Formula One Management (FOM – groupe de sociétés chargées de la promotion du championnat du monde de formule 1), promotrice de la F1. Avec la FOM, plaisante Stéphane Clair, « il n’y a pas grand-chose à faire, il suffit d’arriver avec le chèque ». D’un montant confidentiel, aux alentours de 21 millions à 22 millions d’euros, comme pour tous les Grands Prix historiques européens.

Stéphane Clair, directeur général du circuit Paul-Ricard au Castellet (Var), le 22 juillet. / CAP

La clé du retour dans l’Hexagone est ailleurs, dans une répartition des tâches claires : « Nous [le circuit], on est le théâtre, les acteurs sont amenés par la FOM, et le GIP [Groupement d’intérêt public] vend les billets », résume le directeur du circuit. Pour qu’un Grand Prix apparaisse rentable, il faut en effet élargir l’assiette, c’est-à-dire prendre en compte les retombées économiques, au niveau de la ville, de la région et du département. D’où l’idée de solliciter les collectivités locales au côté du circuit, regroupées dans un GIP, présidé par le maire de Nice, Christian Estrosi, qui assume le financement et la prise de risque.

Sans aide, d’où qu’elle vienne, impossible pour une société privée d’équilibrer un budget en formule 1 : « C’est la fameuse expression, s’amuse Stéphane Clair : “Comment devient-on millionnaire en F1 ? En commençant milliardaire.” » En Grande-Bretagne, le circuit de Silverstone est exsangue financièrement. Son erreur, selon le Français, est de mêler les deux activités, celle de circuit et celle de promoteur de certaines courses.

La piste redessinée

Le Castellet, lui, a dissocié son métier d’organisateur du Grand Prix de France de celui de circuit à l’année : « Hors F1, le circuit est rentable, parce qu’on l’utilise trois cents jours par an. » A travers des événements privés, comme les journées organisées du 21 au 23 juillet en l’honneur des 70 ans de Ferrari. Ajoutez à cela une météo clémente et des prestations haut de gamme, pour lesquelles les clients sont prêts à payer cher… et les feux sont au vert.

D’ici au Grand Prix, le Castellet devra, lui, assurer la sécurité, installer des tribunes et remanier sa piste, critiquée notamment par le jeune pilote français Esteban Ocon, appuyé par Christian Estrosi. Ocon voyait d’un mauvais œil l’installation de la chicane dans la ligne droite principale ? Le Castellet répond en jouant la vitesse à fond.

Trois virages sont redessinés. Le premier, dit de la Verrerie, élargi en extérieur, permettra d’entrer plus vite ; fermé en sortie, il restera étroit à la corde. « Une nouveauté intégrale, puisqu’il n’appartenait pas au circuit court de 3,7 km [contre 5,8 km aujourd’hui]. » Le 5e virage du Camp, actuellement négocié à 49 km/h, selon les simulateurs, pourra se prendre à 84 km/h après avoir été élargi de près de 10 mètres.

Le pilote Red Bull Daniel Ricciardo sur le circuit Paul-Ricard lors d’essais de présaison, en janvier 2016. / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Arrive la fameuse chicane controversée. Prise à 100 km/h, cette première zone de dépassement hors DRS (zones d’activation de l’aileron) valorise les qualités de pilotage, sans danger, puisque à plat et sans muret.

Troisième virage élargi, celui du Pont, qui permettra deux trajectoires : en intérieur, pour sécuriser l’entrée aux stands ; en extérieur, pour augmenter une fois encore la vitesse, de 54 km/h à 80 km/h. Les travaux sont programmés du 1er décembre au 20 janvier 2018, suivis d’une période de mûrissement de l’asphalte d’un mois. « Peu de circuits permettent des virages à 350 km/h. A l’entrée du virage des Signes, il y a des pilotes qui les auront comme ça [mime la peur avec ses doigts], parce que le mur n’est pas loin du tout. »

Une limite à 60 000 spectateurs ?

Un spectacle ne vaut que s’il est vu par tous. La capacité d’accueil en tribune va passer de 10 000 à 40 000 personnes. L’actuelle unique tribune en dur face aux paddocks sera rehaussée et couverte – à 8 000 places. Quatre tribunes éphémères seront érigées à divers endroits stratégiques du circuit, la plus grande sur la double ligne droite du Beausset, pour un total de 40 000 places assises, donc plus chères. Auxquelles il faut ajouter les 40 000 places « debout » d’enceinte générale. Elles seront mises en vente à la mi-novembre avec des tarifs satisfaisants, selon Stéphane Clair, « celui qui avec 50 euros en poche veut voir les F1 tourner et celui qui dispose de 5 000 euros pour son week-end ».

Reste à acheminer tout ce monde le jour J et à le loger. Pas le plus simple. Le Bol d’or des 16 et 17 septembre sera vécu comme une répétition générale – 72 000 fans attendus – à la différence qu’en moto, il y a peu d’embouteillages.

L’accès principal au circuit Paul-Ricard se fait par une route unique, à flanc de coteaux. Et en dehors des trois hôtels sur place, le reste de la capacité hôtelière (30 000 places) se situe à 25 kilomètres. D’où l’idée de faire rester les spectateurs près du circuit en leur proposant un camping « clé en main ». Vous venez les mains dans les poches et on vous fournit la tente, les serviettes et les sacs de couchage. « Cela ne m’effraie pas que 60 000 personnes vivent ici pendant quatre jours », assure le directeur du circuit. Pas plus ? « Il faut être particulièrement bon la première année pour que les spectateurs reviennent. Donc il faut faire particulièrement attention à ne pas faire trop grand, ne pas laisser venir trop de gens, au risque de mal les accueillir. »

Quitte à refuser du monde, comme à Spa (Belgique), qui a fixé le seuil cette année à 100 000 spectateurs, après 70 000 en 2016. Qu’est-ce qui l’inquiète alors ? « Le temps qui passe très vite. »