LES CHOIX DE LA MATINALE

Un programme riche pour cette semaine de rentrée avec un portrait tout en finesse de Barbara, les rêveries d’une jeune fille dans un Japon en guerre, Jeanne d’Arc vue par Bruno Dumont et un documentaire consacré à la grande chorégraphe américaine Trisha Brown.

LES MILLE REFLETS DE LA DAME EN NOIR : « Barbara », de Mathieu Amalric

BARBARA Bande Annonce ✩ Mathieu Amalric (2017)
Durée : 01:48

Le premier plan de Barbara montre le reflet d’un visage de femme sur le couvercle d’un piano. Un peu flou, mais immédiatement reconnaissable. Ce jeu d’images ouvre les portes d’un palais des miroirs que Mathieu Amalric et Jeanne Balibar ont construit autour de la figure de la chanteuse, morte il y a vingt ans. Le réalisateur et l’interprète font mine de se perdre eux-mêmes entre la fiction d’une biographie filmée et la réalité du tournage de celle-ci, alors que, en réalité, ils conduisent d’une main très sûre le spectateur à travers la vie et l’art de Barbara.

Le signe le plus évident de cette réussite faite de virtuosité et d’amour est d’emporter l’adhésion d’un spectateur généralement indifférent à l’artiste et à ses chansons, ce qui est le cas du signataire.  Barbara est un éloge de la diva, une démonstration qu’il est nécessaire qu’existent des êtres pour qui l’extravagance et l’affectation sont les chemins de la vérité. A rebours de la pédagogie souvent étouffante des biographies filmées, Barbara force à fouiller dans ses souvenirs (si l’on est assez vieux) et ses connaissances. L’occasion de découvrir une artiste dont la plus belle création pourrait être ce personnage fantastique ici ressuscité, Barbara. Thomas Sotinel

Film français de et avec Mathieu Amalric. Avec Jeanne Balibar, Grégoire Colin (1 h 38).

LA JEUNE FILLE ET LA BOMBE : « Dans un recoin de ce monde », de Sunao Katabuchi

Dans un recoin de ce monde - Bande annonce VO
Durée : 02:18

L’une des grandes forces de l’animation japonaise, c’est son approche réaliste, jusque dans la figuration de l’imaginaire. A ce titre, un long-métrage comme Dans un recoin de ce monde, prix du jury au Festival d’Annecy, frappe d’emblée par la rigueur de son ambition : passer en revue treize années fatidiques de l’histoire du Japon – des années 1930 à la capitulation, en 1945, après la déflagration de la bombe atomique – sous le prisme d’une existence modeste, celle d’une jeune épouse étourdie.

Le récit suit le rythme au long cours d’une chronique biographique, jalonnant le passage à l’âge adulte de Suzu, une jeune fille portée vers la rêverie. Un mariage arrangé la pousse à quitter les siens pour intégrer un nouveau foyer, dans le port militaire de Kure. Le film surprend par sa grande habileté à nouer la grande et la petite histoire à partir des gestes, des tâches et des émotions les plus ordinaires. Les circonstances de la guerre se lisent ainsi dans la chair de l’anecdote, liant indistinctement destin collectif et urgences domestiques. Mathieu Macheret

Film d’animation japonais de Sunao Katabuchi (2 h 08).

FOLIE BERGÈRE : « Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc », de Bruno Dumont

"Jeanette" de Bruno Dumont : bande annonce
Durée : 02:25

Tourné dans le Nord, avec des acteurs non professionnels sélectionnés dans les environs, Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc, de Bruno Dumont, se compose de deux parties, l’enfance et l’adolescence de Jeanne. A l’origine de ce projet adapté de deux textes de Charles Péguy (Jeanne d’Arc, pièce de théâtre qu’il a écrite à 23 ans, et Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, ­rédigé en 1910, quand il avait 37 ans), il y a la volonté d’organiser ­la rencontre entre des éléments ­totalement hétérogènes et a pri­ori discordants : le lyrisme ­in­candescent de Péguy, les chorégraphies de Philippe Decouflé et la musique du compositeur Igorrr, matière grumeleuse que des corps amateurs, enfants et adolescents, doivent porter sur leurs frêles épaules.

Les mélodies et les airs sont confiés aux acteurs eux-mêmes, chantant par-dessus la musique d’Igorrr, qui glisse de l’électro-pop au metal. Passé la sidération, le dispositif prend le risque de tomber dans le systématisme. C’est à la fois le ­sujet du film – une jeune fille qui tourne en rond dans l’attente de son destin – et un point de non retour qu’atteint Dumont, le bout d’une quête entamée avec P’tit Quinquin : moins de la fiction qu’une friction entre le tournage et la grande marmite du réel, d’où surgit quelque chose d’aussi inédit qu’incertain. En ­ce sens, Jeannette fait figure d’aboutissement et, comme son ­héroïne, se tient en équilibre ­entre la pesanteur et la grâce. Murielle Joudet

Film français de Bruno Dumont. Avec Lise Leplat Prudhomme, Jeanne Voisin, Lucile Gauthier (1 h 45).

L’EMPREINTE D’UNE CHORÉGRAPHE : « Dans les pas de Trisha Brown », de Marie-Hélène Rebois

Bande annonce "Dans les pas de Trisha Brown" de Marie Hélène Rebois Sortie le 6 septembre
Durée : 02:02

Présentée pour la première fois à New York, en 1979, la chorégraphie de Trisha Brown, Glacial Decoy, a récemment intégré le répertoire de l’Opéra de Paris. Pendant une heure et quart, le beau documentaire de Marie-Hélène Rebois nous immerge dans les répétitions du spectacle aux côtés des danseuses et de leurs formatrices, Lisa Kraus et Carolyn Lucas, compagnes de route de la chorégraphe new-yorkaise décédée en mars 2017.

A partir d’un dispositif simple et inspiré, la réalisatrice exalte la fluidité magnétique de la danse de Trisha Brown et la joie lumineuse qui s’en dégage. Pionnière de la « postmodern dance » américaine, elle a libéré sa discipline des plateaux pour l’intégrer dans la ville, dans la rue, la propulser jusqu’à la verticale des façades d’immeubles en la dépouillant, jusqu’à l’os, de ses artifices. Au-delà de la beauté des corps en mouvement, la valeur du film réside dans l’opération de transmission qui s’y joue, entre les dépositaires de l’héritage d’une chorégraphe qui a mis l’institution à terre et les danseuses du corps de ballet de l’Opéra de Paris. Isabelle Regnier

Documentaire français de Marie-Hélène Rebois (1 h 19).