Dans l’usine de Billund, au Danemark. / Fabian Bimmer / REUTERS

Il semble loin le temps où celui qui était alors le PDG de la marque danoise, Jorgen Vig Knudstorp, se trémoussait devant un parterre de journalistes, reprenant les paroles du générique des films Lego – « Tout est génial, tout est cool quand vous faites partie d’une équipe ! » – pour célébrer, en 2014, une septième année consécutive de croissance à deux chiffres. Mardi 5 septembre, c’est par un communiqué que le géant a annoncé qu’il allait se séparer de 8 % de ses effectifs dans le monde.

L’atterrissage est brutal pour le Danois qui, au bord du gouffre en 2004, avait non seulement réussi à redresser la barre, mais à s’imposer comme le numéro deux mondial du jouet, devant l’américain Hasbro. Après des premiers signes d’essoufflement en 2016, avec une croissance ramenée à 6 % contre 25 % en 2015, Lego a concédé une baisse de 5 % de son chiffre d’affaires au premier semestre (14,9 milliards de couronnes, soit 2 milliards d’euros), pour un bénéfice net en recul de 3 %, à 3,4 milliards de couronnes.

En plus d’une érosion de ses ventes aux Etats-Unis et en Europe, le fabricant explique la détérioration de son résultat par une augmentation de ses coûts, due à des investissements massifs dans l’outil de production et son organisation interne. En cinq ans, la taille de l’entreprise, qui a embauché 3 500 personnes en 2016, a doublé.

« Nous avons complexifié notre organisation »

« De fait, nous avons complexifié notre organisation, ce qui rend notre croissance plus difficile », constate Jorgen Vig Knudstorp, qui annonce que la marque a « enclenché le bouton de réinitialisation pour le groupe dans son entier ». Dans un entretien à la chaîne TV2, il précise : « Il y a beaucoup de fonctions qui se chevauchent et, un peu à la manière d’un mille-pattes, nos jambes se font des croche-pieds dans l’exécution de nos campagnes mondiales. »

Plutôt qu’une crise, Niels Lunde, rédacteur en chef du quotidien économique Borsen, évoque, lui, un « accident de parcours », qu’il qualifie cependant de « sérieux ». Lego, analyse-t-il, est victime du « piège classique d’une compagnie qui a grossi très vite en quelques années et dont le développement s’est accompagné d’une complexité bureaucratique, de prises de décision lentes et d’une distance avec le consommateur ». La priorité est donc à la simplification.

Pour les salariés danois, dont 500 à 600 vont perdre leur poste, soit plus d’un sur dix, le coup est dur. Au printemps, les syndicats avaient déjà senti le vent tourner, avec la suppression de 176 postes dont 63 au Danemark et un gel des embauches. Si ce plan de licenciements ne surprend pas, c’est son étendue qui étonne, remarque Nikolaj Stagis, spécialiste de la marque. « Les Danois sont habitués à de bons résultats et, surtout, ils s’attendent à ce que Lego agisse correctement. La compagnie a les fonds pour garder les gens, mais, visiblement, il y a une volonté de maintenir le contrôle de la situation et ne pas la laisser s’envenimer. »

Diversification tous azimuts

Au Danemark, la crise du début des années 2000 reste dans les esprits. L’entreprise familiale, fondée en 1932 à Billund dans la province du Jutland, par le charpentier Ole Kirk Kristiansen, a alors frôlé la faillite, avec des pertes atteignant 1,9 milliard de couronnes en 2004. Pour tenter de faire face à la concurrence sur un marché du jouet en plein chamboulement avec l’arrivée du jeu vidéo, Lego s’est tellement diversifié que le consommateur ne s’y retrouve plus.

En octobre 2004, Kirk Kristiansen, le petit-fils du fondateur, cède les rênes à Jorgen Vig Knudstorp, 35 ans, diplômé d’économie, arrivé dans l’entreprise trois ans plus tôt. C’est la première fois depuis sa création que Lego n’est plus dirigé par un membre de la famille. A l’époque, la stratégie est déjà à la simplification, avec un retour aux fondamentaux, réclamé par les fans.

Lego vend ses parcs d’attraction, se sépare de ses activités périphériques et se concentre sur la brique. Les ventes repartent, dopées par les licences : Star Wars, puis Harry Potter, Batman… La marque se lance à la conquête de nouveaux marchés : l’Asie et l’Amérique du Sud, jusque-là peu exposés à la brique en plastique. Avec des succès : ses ventes en Chine, où Lego a ouvert sa première usine en novembre 2016, ont augmenté de plus de 10 % au premier semestre.

« Lego reste un fabricant de briques en plastique »

Le groupe tente aussi d’entrer dans l’ère du numérique avec ses jeux vidéo, ses jeux d’ordinateur et ses films. Mais, s’ils connaissent un certain succès, « Lego reste un fabricant de briques en plastique », observe le rédacteur en chef de Borsen, pour qui : « La question est de savoir si les petits Américains et Européens vont continuer à y jouer, ou si la baisse des ventes est le signe d’autre chose. »

De la réponse dépendra, selon lui, l’avenir de la compagnie, qui disposera, à partir du 1er octobre, d’un PDG taillé pour l’emploi : ancien patron du groupe danois Danfoss, Niels B. Christiansen « a réussi à mener la transformation digitale d’une compagnie d’industrie manufacturière – ce qu’est Lego –, avec une chaîne d’approvisionnement compliquée », commente Niels Lunde, qui lui a consacré une biographie.