Il était quatre heures du matin passées de trois minutes, mercredi 6 septembre, lorsque la 12chambre du Palais de justice de Paris a enfin retrouvé le silence. Douze heures plus tôt avait débuté le chaotique procès de Nathalie Haddadi, qui comparaissait pour « financement du terrorisme » et « complicité de violation de l’interdiction de sortie du territoire [IST] ».

Cette conseillère commerciale née en Algérie il y a quarante-deux ans, arrivée en France en 2003 et établie à Lingolsheim (Bas-Rhin), est accusée d’avoir aidé son fils Belabbas Bounaga, devenu djihadiste en prison à Strasbourg, à quitter la France en novembre 2015 en dépit d’une IST émise contre lui, et d’avoir financé en partie son périple jusqu’en Syrie, où il est présumé mort en août 2016, à 21 ans.

Dix-huit mois d’emprisonnement ont été requis par le procureur, pour qui la mère « était au courant des aspirations de son fils » et « ne pouvait pas ne pas comprendre quelle était la destination recherchée ». Il reproche à Nathalie Haddadi d’avoir dissimulé aux autorités le passeport de son fils aîné, de lui avoir acheté un billet d’avion pour l’Algérie où il a rejoint son père pour plusieurs mois, et de lui avoir versé 2 827 euros pour l’aider à atteindre la Syrie en passant par la Malaisie, les Emirats arabes unis et la Turquie.

« Un abus des lois antiterroristes »

D’entrée de jeu, la présidente du tribunal Isabelle Prévost-Desprez a indiqué avoir fort peu apprécié le battage médiatique autour de ce procès : « Le tribunal ne vous tient pas rigueur de toutes les interviews que vous avez données et que nous n’avons de toute façon pas eu le temps de lire, car nous avons des choses sérieuses à faire. »

L’affaire est délicate : Nathalie Haddadi assure être simplement venue en aide à son fils qui lui disait avoir besoin d’argent, entre autres, pour des frais médicaux. Elle savait certes qu’il s’était radicalisé, mais elle ignorait, affirme-t-elle, qu’il était « fiché S » et comptait se rendre en Syrie. « Son intention était d’aider son fils à revenir », a clamé son avocat, Me Hervé Denis, soulignant que Mme Haddadi ne lui a pas envoyé d’argent lorsqu’il était en Syrie, et dénonçant « un abus des lois antiterroristes », et une forme de « police de la pensée » qui « punit l’intention ».

« Vous n’avez pas besoin de mettre dix-huit mois à cette dame, mais vous avez besoin de cette décision pour plus tard. Elle sera le début d’une très très longue série », a-t-il lancé, assurant que les parents de djihadistes sont aussi des « victimes. Parce que je ne sais qui a dans l’idée que, peut-être, si on faisait des exemples parmi les parents, on les inciterait à être plus vigilants et à mieux dénoncer ».

Comportement « odieux »

Véronique Roy, dont le fils Quentin est mort dans les rangs de l’organisation Etat islamique en 2015 après s’être rapidement radicalisé et éloigné de ses parents, était citée comme témoin par la défense : « Si mon fils m’avait demandé de l’argent, est-ce que je lui en aurais envoyé ? Peut-être. Je ne dis pas que c’est bien mais on croit toujours qu’on peut sauver son enfant. Quand un gamin tombe dans une secte, ce n’est pas la famille qu’il faut juger, c’est la secte. »

« Ils veulent aider leur enfant : ça, c’est le point de vue des parents, mais c’est méconnaître l’intérêt de la société, a rétorqué le procureur. On peut envoyer de l’argent à un groupement sans en partager l’idéologie, et tomber sous le coup de l’accusation de financement du terrorisme. Cet argent, c’est un moyen de financer l’achat d’armes et d’essence qui vont permettre de perpétrer des actes terroristes. »

Entre les explications parfois alambiquées du procureur, les sarcasmes permanents d’Isabelle Prévost-Desprez et les colères grandiloquentes de Me Denis, l’audience a parfois été extrêmement tendue, et la 12e chambre s’est retrouvée plongée dans la plus grande confusion lorsque, « outré » par le comportement « odieux » de Mme Prévost-Desprez, Me Denis a ôté sa robe, fermé sa valise, embarqué sa cliente et quitté la salle, avant de revenir quelques minutes plus tard.

Un an de prison dont six mois ferme a par ailleurs été requis contre Tarik Bounaga, le fils cadet de Nathalie Haddadi, accusé d’avoir transféré de l’argent à son grand frère. Pour la même raison, trois ans d’emprisonnement ont été requis contre Soulimane Hamouten, le meilleur ami du djihadiste. Jugement le 28 septembre.