Emmanuel Macron lors de son discours sur la colline de la Pnyx, jeudi 7 septembre, à Athènes. / POOL / REUTERS

VERBATIM. En visite d’Etat en Grèce, Emmanuel Macron a choisi la colline de la Pnyx, face à l’Acropole d’Athènes, pour lancer son appel à rebâtir l’Europe. Dans son discours, dont nous reproduisons des extraits, le président français dénonce notamment les failles de la construction européenne et insiste sur la nécessité de restaurer souveraineté et démocratie.

« Merci, monsieur le premier ministre [Alexis Tsipras], de m’accueillir ici, et je vois, par notre présence, votre présence ce soir, la reconnaissance de l’amitié profonde et séculaire qui lie la Grèce et la France. Car peu de nations ont, comme les nôtres, transmis et hérité en quelque sorte des valeurs qui ont fait et qui font notre Europe. Peu de nations ont intégré si intimement leur propre culture et leur identité. (…)

Je ne saurais cependant me limiter à l’émotion, si vive soit-elle, que procurent ces lieux de mémoire. Et je veux plutôt me mettre à leur écoute. Parce que ces lieux nous obligent, puisque c’est ici que fut inventée la forme moderne de l’Etat, ici que cette cité d’Athènes construisit patiemment, par la souveraineté du peuple, la souveraineté de son destin, nous devons nous demander sans complaisance : qu’avons-nous fait, nous, Européens, de notre souveraineté ? Puisque c’est ici que fut pris le risque de cette démocratie qui confie au peuple le gouvernement du peuple, et considère que le plus grand nombre, c’est mieux que le petit nombre, pour édicter une loi respectable, interrogeons-nous : qu’avons-nous fait, nous, de la démocratie ?

Et ces paroles que, non loin d’ici, Périclès prononça en l’honneur des guerriers morts au combat, écoutons-les raisonner encore fortement. “La liberté, disait-il, est notre règle dans le gouvernement de la République, et dans nos relations quotidiennes. La suspicion n’a aucune place.” Mais nous, Européens, nous faisons-nous encore confiance ?

« Nous n’avons pas été à la hauteur de la promesse »

Sur la Pnyx prévalait le goût de la parole libre, du débat, voire de la controverse. Aussi, je veux vous tenir ce soir un discours de vérité, un discours sans ambages : en Europe aujourd’hui, la souveraineté, la démocratie et la confiance sont en danger. Vous le savez mieux que personne car ce qu’on a appelé “la crise grecque” l’a révélé au grand jour.

Cette crise n’a pas été seulement une crise de la Grèce. Elle a été une crise de l’Europe, et en un sens, j’ose le dire, un échec de l’Europe. Faut-il se contenter d’en faire le constat amer et renoncer à l’idéal européen ? Parce que nous n’avons pas été à la hauteur de la promesse européenne, faut-il abandonner ce combat ? Ce serait une erreur profonde, une double erreur.

D’abord parce que l’Europe s’est toujours construite en triomphant des guerres et des échecs. La Grèce elle-même put rejoindre la Communauté européenne pour tourner la page des années de dictature militaire. Et l’Europe n’existe pas sans cet inlassable volontarisme ! L’Europe même n’a toujours été qu’une métamorphose ! (…) Lorsque l’Europe s’arrête, elle se trahit elle-même et elle court le risque de se démanteler. Ensuite, ce serait une erreur parce que tous, nous voyons l’Histoire s’accélérer, disloquer chaque jour un peu plus l’ordre qui s’était installé depuis trente ans sans que personne ne puisse dire quel ordre surgira des mutations en cours.

Alors oui, dans ce monde où les alliances d’hier, parfois, se fissurent, où des risques nouveaux apparaissent et bousculent des pays que nous pensions indéplaçables, font émerger des puissances nouvelles dans ce monde, où nos valeurs même, ce qui nous tenait dans la certitude que l’ordre établi était le nôtre, sont profondément chahutées. L’Europe est un des derniers havres où nous continuons collectivement de nourrir une certaine idée de l’Humanité, du droit, de la liberté, de la justice. Plus que jamais aujourd’hui, nous avons besoin de l’Europe. Le monde a besoin de l’Europe. En programmer le démantèlement n’aurait à cet égard aucun sens. Ce serait une forme de suicide politique et historique.

(…)

« La reconquête de notre souveraineté est une nécessité »

L’autre choix, celui que je veux vous proposer ce soir, c’est celui de la refonder, parce que notre génération peut choisir de refonder l’Europe aujourd’hui, maintenant, par une critique radicale car nous avons tort de laisser la critique de l’Europe à ceux qui la détestent ! Ceux qui aiment l’Europe doivent pouvoir la critiquer pour la refaire, pour la corriger, pour l’améliorer, pour la refonder !

(…)

Alors oui, c’est pour parler de ces espérances, de ces trois espérances, de souveraineté, de démocratie et de confiance que je suis là ce soir.

La reconquête de notre souveraineté, c’est une nécessité première. Parce que je ne laisserai pas ce terme à ceux qu’on appelle les “souverainistes”. Non, la souveraineté, c’est bien ce qui fait que nous décidons pour nous-mêmes, que nous nous fixons nos propres règles, que nous choisissons notre avenir, et ce qui fait notre monde. La souveraineté n’est pas la propriété de celles et ceux qui préfèrent le rétrécissement sur les frontières ! (…)

La souveraineté véritable, elle construit, elle doit se construire dans et par l’Europe ! Celle dans laquelle nous croyons ! La souveraineté que nous voulons, c’est celle qui consiste précisément à conjuguer nos forces pour bâtir ensemble une puissance européenne pour pouvoir décider de ne pas subir ce que les superpuissances feront mieux que nous !

(…)

Pourquoi ? Parce que nos défis ne sont plus à l’échelle de nos nations ! Regardez le changement climatique et les cataclysmes qu’il produit ! Regardez le défi des migrations que votre pays a eu à affronter, il y a un peu plus de deux ans et dont il connaît encore aujourd’hui les conséquences, la crainte qu’il fait naître, les belles histoires qui en surgissent ! Regardez le terrorisme qui, dans chacune de nos sociétés, que nous pensions à l’abri de l’Histoire, est revenu fracasser des vies et nous faire douter ! Regardez les puissances nucléaires qui émergent là où nous ne pensions qu’avoir des puissances secondaires !

Face à ce monde-là et chacun de ces risques nouveaux, face au risque des crises économiques et financières que nous avons subies, que vous avez subies il y a maintenant près de dix ans en votre cœur, quelle est la bonne protection qui vous protège ? Les nations seules ? Allons, ces gens-là sont-ils raisonnables ? Veulent-ils encore mentir au peuple ? Non, les nations ont un poids ! Elles décident démocratiquement ! Mais oui ! La bonne échelle est l’échelle européenne !

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« Nous avons commis des erreurs multiples »

Nous avons, pendant les premières années de la zone euro, commis des erreurs multiples, qui ont reposé sur des mensonges, parfois, il faut bien le dire ici aussi avec humilité et détermination. On a parfois menti et on a menti au peuple en faisant croire que, sans rien réformer, on pouvait vivre à Athènes comme à Berlin, et ça n’était pas vrai. Mais qui a-t-on fait payer ? Les responsables politiques qui avaient menti ? Non, le peuple qui avait cru des mensonges.

C’est le peuple grec qui, après toutes ces années, lorsque la crise est survenue, cette crise financière devenue une crise des dettes souveraines, c’est le peuple grec qui a payé, des années durant lesquelles on a voulu corriger tout cela par des politiques qui, mues par la défiance, ont d’un seul coup créé, il faut bien le dire, des injustices et des incompréhensions. Nous avons perdu le sel de ce goût pour la cohésion sociale, ce qui nous tenait. Nous l’avons perdu parce que nous nous sommes perdus dans une guerre civile, au sein de l’Europe, entre des puissances qui ne se faisaient plus confiance.

C’est cela, l’histoire de la décennie qui s’achève : une forme de guerre civile interne où on a voulu regarder nos différences, nos petites trahisons et où nous avons en quelque sorte oublié le monde dans lequel nous étions ; où nous avons préféré corriger ces petites différences et ces petites trahisons en oubliant que, face à nous, il y avait des puissances radicalement différentes et que la seule question qui nous était posée, c’est : comment faire de la zone euro une puissance économique qui puisse tenir, face à la Chine et face aux Etats-Unis ? Comment faire de notre Europe une puissance diplomatique et militaire qui puisse défendre nos valeurs et nos intérêts, face à des régimes autoritaires qui émergent des crises profondes qui peuvent nous bousculer. C’est cela notre seul défi, et pas un autre.

Alors oui, je veux que nous retrouvions, par la réconciliation d’une Europe qui sait conjuguer à nouveau la responsabilité et la solidarité, la force d’une souveraineté qui ne soit pas que nationale mais bien européenne.

Cela passera par des objectifs communs : une volonté de défendre ce qui nous a faits par des réformes institutionnelles indispensables. Il faudra une Europe dans laquelle nous osons à nouveau défendre la convergence sociale, fiscale, parce que c’est ce qui nous tient réunis, et évite les divergences qui nous éclatent. Il faudra retrouver le sel de cette zone euro et inventer une gouvernance forte qui nous fera souverains, avec un budget de la zone euro, avec un véritable responsable exécutif de cette zone euro, et un Parlement de la zone euro devant lequel il devra rendre compte.

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« Le projet européen s’est heurté à un refus du peuple »

Cette souveraineté qui est la capacité des nations à décider de leur destin, qu’est-elle si ce n’est pas le peuple qui décide du cap qu’ensemble nous poursuivrons ? Et comment ne pas voir que la défaite de l’Europe depuis tant d’années est aussi une défaite de la démocratie ?

Par l’ampleur qu’il a prise, l’élargissement qu’il a connu, la diversité qu’il a adoptée, le projet européen s’est soudain heurté voilà un peu plus de dix ans à un refus du peuple, des peuples. Ce qui s’est passé en 2005 en Europe, en France, aux Pays-Bas, ce sont des peuples parmi les Etats fondateurs qui ont d’un seul coup décidé que ce projet n’était plus pour eux. (…) Alors oui, ces votes ont marqué l’arrêt d’une aventure qui faisait que l’Europe avait toujours avancé comme à l’abri de la volonté de nos peuples. Et lorsque je combats les dérives parfois bureaucratiques qui font que l’Europe voudrait avancer par des règles que nos citoyens ne comprennent plus, qui voudraient faire que l’Europe avance en s’occupant de chaque détail du quotidien parce qu’elle a perdu son grand dessein, c’est pour retrouver le sel de cette démocratie européenne, lorsque je me bats pour que nous puissions réviser la directive des travailleurs détachés, je me bats contre cette Europe qui a fini par produire des règles absurdes où nos peuples ne parviennent même plus à comprendre les sociétés dans lesquelles nous voulons les faire vivre.

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Choisissons une autre voie, la voie inventée à l’endroit même où nous nous trouvons qui n’était pas celle de la démagogie, c’était celle de la démocratie, de la controverse, du débat, de la construction par l’esprit critique et le dialogue. (…) C’est ce que je veux durant le premier semestre de l’année 2018 dans tous les pays de notre continent, de notre Europe, retrouver le sel de ce qui a été inventé à l’endroit où nous nous trouvons, ce qui a fait nos démocraties. Alors oui, par ces conventions démocratiques durant six mois, débattons de cette feuille de route que les gouvernements auront construite dans ses principes et retrouvons-nous six mois plus tard pour en faire la synthèse et sur cette base, débattue, partagée par des débats sur le terrain, par des débats numériques partout en Europe, construisons ce qui sera le fondement d’une réinvention de notre Europe pour les dix ans, les quinze ans qui viennent.

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« Mettons en place un parlement de la zone euro »

Remonter l’histoire grecque, c’est rencontrer la force de cette démocratie, la force de ce débat. (…) C’est pour cela que je veux défendre pour les prochaines élections européennes des listes transnationales. Nos amis britanniques décident de nous quitter, n’essayons pas de nous réattribuer nation par nation les quelques places qu’ils libèrent au Parlement européen, non ! Considérons qu’enfin nous pouvons avoir un débat européen, des listes européennes, une vraie démocratie européenne qui vivra à travers les pays et demain, si nous voulons une zone euro plus intégrée, un cœur d’Europe qui en soit l’avant-garde, donnons plus de forces démocratiques, mettons en place un Parlement de la zone euro qui permettra de construire les règles d’une responsabilité démocratique de celles et ceux qui prendront des décisions, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

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Nous, Européens, nous partageons une histoire et un destin, c’est parce que nous retrouverons le fil de ce chemin que nous pourrons rebâtir la confiance. Voyez l’endroit où nous sommes ; apercevez encore dans la nuit qui arrive la colline derrière moi, l’Acropole. (…) Oui, l’Acropole d’Athènes est un miroir tendu à notre identité européenne, nous nous y reconnaissons, nous y lisons notre destin commun et ce temple fut celui des dieux antiques, mais aujourd’hui les croyances qui l’ont fait naître ont disparu et pourtant nous pensons encore à cette force. Nous sentons encore sa part sacrée.

Il y a comme le disait Malraux, il y a près de soixante ans ici même, il y a une Grèce secrète qui repose dans le cœur de tous les hommes d’Occident.

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« Nous devons nous réapproprier notre patrimoine »

Je veux que dans les propositions que nous ferons, dans cette feuille de route à dix ans, nous retrouvions de l’audace, de l’ambition profonde pour que cette Europe de la culture, de la connaissance, du partage des langues soit profondément refondée. Il nous faut aussi une Europe du patrimoine. Je parlais de l’Acropole dont la restauration et le nouveau musée ont eu un prix élevé. Tout ce qui incarne notre passé commun – art grec, art romain, art médiéval, du baroque au classique – tous ces édifices, toutes ces œuvres sont la substance même de notre mémoire et de notre être.

Les protéger et les faire vivre doit être une préoccupation de tous les Européens. Lorsque la civilisation est attaquée, elle est attaquée dans la culture, dans son patrimoine. Regardez partout au Proche-Orient, au Moyen-Orient ou en Afrique ! Et donc ce patrimoine, nous devons le défendre, le porter, le réinventer, nous le réapproprier parce qu’il est notre identité et notre avenir !

(…)

Regardez l’heure que nous partageons, c’est ce moment dont Hegel parlait, ce moment où la chouette de Minerve s’envole, il est délicieux ce moment parce qu’il a quelque chose de confortable et de rassurant. La chouette de Minerve porte la sagesse mais elle regarde toujours derrière. Ne vous arrêtez pas à la chouette de Minerve, ayez cette ambition folle à nouveau de vouloir une Europe plus forte, plus démocratique, refondée par sa culture et ce qui nous unit ! Je vous demande à vous, et en particulier à vous, jeunesse d’Europe, d’avoir cette ambition extrême peut-être un peu folle !

Ce que nous espérons est entre nos mains ; désirons-le ensemble pour nous et pour nos enfants ! Alors je vous le promets, nous réussirons ! Suivons en cela les paroles du poète Georges Séféris et je le cite : “Et quand on cherche le miracle, il faut semer son sang aux quatre coins du vent car le miracle n’est pas ailleurs mais circule dans les veines de l’homme.” Alors donnons une chance à ce miracle ensemble pour notre Europe ! »