Ils ont créé une application d’e-learning (éducation en ligne) en Afrique. Jusque-là, rien de nouveau… Ils ont créé une application d’e-learning en Afrique qui fonctionne sans Internet et pas obligatoirement sur un smartphone… Beaucoup plus intéressant. Sur un continent où le prix de la connexion est exorbitant par rapport au niveau de vie, les innovations qui permettent de contourner quelque peu Internet retiennent forcément l’attention. « Ils », ce sont l’équipe de Chalkboard Education (l’application porte le même nom), une start-up basée au Ghana et depuis peu présente en Côte d’Ivoire.

« Il y aura, au bas mot, 150 millions de jeunes à former d’ici cinq ans en Afrique. Dans les conditions actuelles (infrastructures, moyens humains), c’est mission impossible. Des milliers d’entre eux resteront forcément sur le carreau. Il y a donc un besoin urgent de trouver des nouvelles façons d’éduquer, de former aux divers métiers. Et l’e-learning permet de répondre à ce besoin, explique Adrien Bouillot, créateur et cofondateur de Chalkboard. Mais, au-delà de cet aspect, l’e-learning, c’est aussi un marché annuel de 500 millions de dollars [415,5 millions d’euros] en Afrique. Notre but est donc d’avoir une activité qui impacte positivement la société et qui, bien sûr, rapporte aussi de l’argent, car nous ne croyons pas du tout à la charité sur le long terme. »

Jusqu’à 1 600 téléchargements

L’aventure Chalkboard, Adrien la commence en 2014. Il est encore étudiant en communication à Sciences Po Paris et se rend rapidement compte qu’il ne se voit pas faire carrière dans la publicité ou les relations publiques. Tout ce qui touche à l’éducation, en revanche, l’attire, lui, le fils d’une maman professeure pour enfants en difficulté. Après l’obtention de son diplôme en 2015, il s’envole pour le Ghana, pays qu’il connaît un peu déjà, pour des raisons « personnelles ». Pendant trois mois, il se renseigne sur le système éducatif ghanéen, sur les universités, discute avec les professeurs, les étudiants. Bref, il fait une véritable étude de marché. A son retour à Paris, il a déjà son idée en tête. Prochaine étape : trouver un lieu d’incubation pour faire naître le projet et le financer. Plus facile à dire, qu’à réaliser…

« Le problème à Paris, c’est que l’on a l’impression que si l’on ne crée pas le prochain Uber [application de transport] ou Tinder [application de rencontre], cela n’intéresse personne », explique Miora Randriambeloma, qui a très vite rejoint Adrien dans son projet et cofondé avec lui la société. Elle aussi diplômée de Sciences Po, elle aussi fille d’une maman professeure d’université.

Par défaut donc, ils prennent la direction le Portugal et l’accélérateur de start-up Lisbon Challenge. « Plus ouvert envers les projets destinés aux pays en développement et émergents », selon l’entrepreneur. Ensuite, retour au Ghana. Sur fonds propres (économies et jobs parallèles), l’application est développée en France. Sa première version est testée avec l’université du Ghana, à Accra, où un professeur de français joue le jeu, en mettant à disposition ses cours. Grâce à la Banque publique d’investissement française (BpiFrance) et son soutient de 25 000 euros, ils améliorent l’application et peuvent véritablement se lancer. Jusqu’à 1 600 étudiants ghanéens de diverses universités téléchargeront l’application, en phase de test pendant toute l’année scolaire 2016-2017.

Le principe est simple : Chalkboard va directement à l’université pour installer
l’application sur les téléphones des étudiants ou leur envoie par SMS les informations
pour la télécharger. Une fois installée, celle-ci permet de lire ses cours, de faire des exercices ou de répondre aux tests, toujours grâce aux textos et à la technologie USSD
(Unstructured Supplementary Service Data), qui permet l’échange instantané de
données.

Bientôt au Burkina Faso, au Kenya et au Nigeria

En cette rentrée, Chalkboard se trouve donc au moment crucial de son développement. La phase de test terminée, il faut désormais vendre l’application. Un véritable défi. Pour le relever, la start-up pourra compter sur le « fonds d’impact » Trecc (Transformer l’éducation dans les communautés productrices de cacao) de la fondation suisse Jacobs, en Côte d’Ivoire, qui vient de lui accorder un financement de 200 000 euros.

Vendre l’application donc ? Mais à qui ? Au Ghana, Chalkboard vise surtout les universités, notamment privées, très nombreuses. L’application serait achetée par ces dernières et mises à disposition, gratuitement ou non, selon le choix des établissements. En Côte d’Ivoire, où les universités publiques sont reines et tentaculaires, l’entreprise mise plutôt sur des instituts privés de plus petite taille et les ONG. « On s’adapte au contexte et au système éducatif de chaque pays », précise Adrien Bouillot. Les tarifs de l’application, eux, varient selon les universités, le nombre d’étudiants et le nombre de cours.

Adrien Bouillot et Miora Randriambeloma avec leur équipe Chalkboard. / Adrien Bouillot

Quant aux critiques qui reprochent au e-learning de ne régler que superficiellement le problème de nombreux systèmes éducatifs africains – qui auraient surtout besoin d’investissements, de professeurs et de salles de cours – tout en déshumanisant l’enseignement, les deux cofondateurs les balaient d’un revers de main. « Les retours sur le terrain démontrent le contraire, avance Miora Randriambeloma. Quand on donne un cours dans un amphi de 500, 600, voire plus d’étudiants, tout le monde ne peut pas suivre. Avec l’application, on découvre le cours, on se l’approprie, et l’on va ensuite, avec ses questions, en amphithéâtre. Des professeurs nous ont ainsi expliqué que leurs cours étaient devenus plus participatifs, avec des questions, des débats… C’est donc, au contraire, une manière de réhumaniser l’enseignement. »

Chez Chalkboard, les arguments sont toujours bien rôdés. La mise en scène et la communication d’une équipe ancrée dans la génération du millénaire (15-35 ans), bien soignées. L’équipe, justement, composée aujourd’hui de neuf personnes, est jeune, cosmopolite. Tous ont moins de 30 ans et viennent de France, de Madagascar, du Kenya, du Ghana, du Nigeria et de Côte d’Ivoire.

La start-up vise une rentabilité globale dans cinq ans, tout en étant rentable sur chaque pays où elle est présente au bout de deux ans. D’ici là, elle prépare surtout une levée de fonds dans les prochains mois afin de recruter et de s’installer prochainement au Burkina Faso, au Kenya et au Nigeria.