L’œuvre de Mattias Noström intitulée « Du gamla, du fria » (Toi l’ancienne, toi la libre), reprend le titre de l’hymne national suédois. / HENRIK MONTGOMERY/TT NEWS AGENCY/AFP

Il a triste allure, ce drapeau suédois, avec sa croix d’or sur fond bleu azur, l’échine courbée et la fierté en berne, au bout de son mât impotent, sur la place Sergel, en plein centre de Stockholm. Métaphore d’une société en déliquescence ? Allégorie d’une nation en perte de repères, qui ploie mais ne se soumet pas ? Ou outrage gratuit de l’artiste à un symbole national ?

Les opinions varient, mais une chose est sûre : l’œuvre de Mattias Norströms, 46 ans, baptisée Du gamla, du fria (Toi l’ancienne, toi la libre), reprenant le titre de l’hymne national suédois, ne laisse personne insensible. A peine les habitants de la capitale l’ont-ils découverte, le matin du 29 août, que le Web s’est embrasé, les grands quotidiens se sont remplis de tribunes sur « ce drapeau au mât courbé » et les standards des stations de radio ont été pris d’assaut. Un homme a même été interpellé, dans la nuit du 30 août, soupçonné d’avoir tenté d’abattre le mât tordu, avant d’être relâché.

« Je ne critique pas la Suède en tant que pays. Mais je constate qu’il y a une inquiétude chez les gens face aux évolutions actuelles. » Mattias Norströms

L’artiste décrit son installation, en place jusqu’au 12 septembre, comme « une figure poétique représentant les émotions qui traversent la société, pas seulement en Suède, mais dans le reste de l’Europe ». Elle peut donner lieu à différentes interprétations : le mât s’incline, ou bien, il se relève. « Je ne critique pas la Suède en tant que pays, précise Mattias Norströms. Mais je constate qu’il y a une inquiétude chez les gens face aux évolutions actuelles. On hésite à en parler et il ne reste plus que les trolls sur Internet. »

S’il n’avait pas anticipé la tempête, le Suédois s’attendait à des réactions. « Le fait même que l’œuvre soit installée sur l’espace public éveille des sentiments », souligne-t-il. Johan Wirfält, directeur artistique de la Maison de la culture de Stockholm, mandatée par la mairie pour organiser des événements artistiques sur la place Sergel, confirme : « C’est un endroit où les gens se retrouvent après la victoire de la Suède, lors de grandes compétitions sportives. C’est aussi un lieu de ralliement, où le dialogue politique a cours. »

« Est-ce ainsi que nous voulons promouvoir notre pays auprès des visiteurs et de nos propres concitoyens ? » Erik Slottner, chef de file des chrétiens-démocrates

Parmi les détracteurs de l’œuvre, Erik Slottner, chef de file des chrétiens-démocrates dans la capitale, dénonce une installation « inappropriée et de mauvais goût » et s’interroge : « Est-ce ainsi que nous voulons promouvoir notre pays auprès des visiteurs, des nouveaux arrivants et de nos propres concitoyens ? » Ancienne ministre de l’éducation, la sociale-démocrate Aida Hadzialic estime, pour sa part, sur Twitter, qu’« il existe des façons plus honorables de célébrer la Suède ». Johan Wirfält voit dans cette mobilisation d’élus, « qui rompent avec leur réserve traditionnelle », une nouvelle preuve de « la politisation de la vie culturelle ».

Les critiques d’art sont eux-mêmes divisés. Une provocation facile, ou bien une œuvre essentielle, à l’heure où identité et nationalité font débat ? La photographe Elisabeth Ohlson Wallin, qui avait elle aussi suscité la controverse avec ses clichés de Jésus en compagnie d’homos et de trans en 1998, demande « plus de drapeaux tordus pour le peuple ». La polémique, clame-t-elle, est une indication de « l’ordre nationaliste fort qui prévaut ».

Pendant ce temps-là, sur la station de radio P1, une auditrice s’insurge et exige réparation. Une autre se désole qu’« il n’y ait plus rien de sacré en Suède », où l’outrage au drapeau n’est d’ailleurs pas un délit. Dan Jönsson, journaliste culturel au quotidien Dagens Nyheter, défend, lui, « la responsabilité de l’art libre de traiter tous les symboles et insignes du pouvoir comme les plaisanteries qu’ils sont ».