Les habitants sortent dans les rues inondées de La Havane, dimanche 10 septembre, après le passage de l’ouragan Irma. / Ramon Espinosa / AP

« L’eau est entrée dans la ville brusquement, jusqu’à 400 à 500 mètres de la mer. C’était très impressionnant, de même que la force des vents. » Gustavo Andujar Robles, directeur du centre culturel Padre-Félix-Varela de l’archevêché de La Havane, a assisté, impuissant, au déferlement de l’ouragan Irma, qui a heurté de plein fouet la côte nord de Cuba, samedi 9 et dimanche 10 septembre, quand tous les regards étaient tournés vers la Floride.

Ce cyclone hors norme était alors classé en catégorie 5, soit le niveau maximal de l’échelle de Saffir-Simpson. Des vents culminant à 250 km/h et des pluies torrentielles se sont abattus sur le littoral et le centre de l’île, faisant 10 morts et des dégâts matériels considérables dans de nombreuses provinces et dans la capitale. « Il y a partout des arbres à terre, des gravats et le système électrique est encore en grande partie détruit », témoigne Gustavo Andujar Robles.

Irma est le plus puissant ouragan dont l’œil ait touché directement Cuba depuis 1932. « Au-delà de la force exceptionnelle de ce cyclone, sa trajectoire, qui a longé toute l’île, était très rare, explique Jean-Noël Degrace, météorologue de Météo France basé en Martinique. Les autres ouragans traversaient le plus souvent Cuba et donc perdaient en intensité. Cette fois, en restant à la limite des terres et des eaux chaudes, Irma s’est continuellement rechargé. »

Produits de première nécessité

Alors que les habitants regagnent petit à petit leurs logements détruits ou fortement endommagés, l’urgence est d’abord de leur fournir les produits de première nécessité. « Les gens ont tout perdu. Nous devons leur apporter de la nourriture, et leur permettre d’accéder à de l’eau purifiée, des équipements sanitaires et d’hygiène, ainsi que des médicaments », précise Richard Paterson, directeur de l’ONG CARE à Cuba, qui a lancé un appel aux dons. Le Venezuela a annoncé, lundi 11 septembre, l’envoi de 10 tonnes d’alimentation, d’eau potable et d’effets de première nécessité à son allié cubain. De même, le Panama a acheminé mardi de l’aide humanitaire à Cuba et à Saint-Martin.

Une pelle mécanique enlève des gravats dans les rues de La Havane, mardi 12 septembre. / Desmond Boylan / AP

Vient ensuite l’enjeu de la reconstruction. « Il faut d’abord faire venir depuis l’étranger du matériel pour reconstruire les toits, car la production locale n’est pas suffisante, ce qui prend du temps, détaille l’humanitaire. Puis il s’agira de renforcer les infrastructures et les bâtiments. Ils étaient déjà en mauvais état, mais avec l’eau dont ils ont été gorgés, ils vont encore se détériorer, avec un risque d’effondrements. » L’île nécessitera « au moins une année, voire plus » pour se remettre complètement de cette catastrophe, juge-t-il. « Mais Cuba a de l’expérience en matière de gestion des ouragans. »

Sur la route des ouragans

L’archipel est de fait particulièrement touché par les cyclones. Il se situe à la fois sur la route des ouragans dits « cap-verdiens », qui se forment au large des côtes africaines, mais aussi de ceux qui naissent dans le golfe du Mexique. « Sa taille et son territoire très allongé augmentent les risques d’être touché », complète Jean-Noël Degrace.

Quatorze ouragans majeurs (de catégorie 3 ou plus) ont ainsi frappé les côtes cubaines entre 1950 et 2016, soit un tous les cinq ans en moyenne. Irma est le premier de catégorie 5 depuis plus d’un demi-siècle, après cinq de catégorie 4 (Matthew en 2016, Gustav en 2008, Dennis en 2005, Michelle en 2001 et Fox en 1952). Ces dernières années, l’île a aussi été touchée par Sandy, Ike, Katrina et Wilma.

« Depuis le début du XXIe siècle, on observe que les ouragans formés dans l’océan Atlantique deviennent plus intenses et apportent plus de précipitations, assure Jose Rubiera, spécialiste des ouragans à l’Institut national de météorologie cubain. On a déjà enregistré neuf ouragans majeurs ces seize dernières années, contre quinze au XXe siècle. »

Programme national d’évacuations

Face à ces cataclysmes, Cuba met régulièrement en avant des pertes humaines nulles ou faibles comparées à l’ampleur des dégâts. Si les chiffres ne peuvent être vérifiés, il est pourtant vrai que l’archipel a développé une « culture » des ouragans. Sa principale force, c’est son programme national d’évacuations, mis en place après le passage de Flora en 1963, qui avait causé la mort de 2 000 personnes et entraîné de graves dommages.

« La défense civile cubaine, présente dans toutes les villes et quartiers, grâce à un maillage très dense, s’assure que les gens ont quitté leur logement pour rejoindre des centres d’accueil ou les maisons de voisins plus solides », raconte Richard Paterson. Plus d’un million de personnes, sur les 11 millions que compte l’île, ont été évacuées avant le passage de Irma. La défense civile, qui dépend du ministère des forces armées, « a le droit de déclarer une situation d’urgence nationale et d’obliger les populations à évacuer, y compris par la force », complète Benigno Aguirre, professeur au centre de recherches sur les catastrophes de l’université du Delaware (Etats-Unis), qui a étudié la gestion d’urgence à Cuba. Avec parfois des « ratés », puisque la majorité des 10 victimes d’Irma avaient refusé d’évacuer, selon les autorités.

Des maisons détruites après le passage de Irma, à Isabela de Sagua, sur la côte nord de Cuba, lundi 11 septembre. / Ramon Espinosa / AP

A Camagüey, l’une des zones les plus touchées par le passage de l’ouragan, neuf centres ont été montés pour « accueillir toutes les personnes qui n’ont pas d’habitation en dur ou qui vivent près des rivières, de la côte ou d’autres zones dangereuses », raconte Roberto Estevez Chantada, étudiant en journalisme à l’université de Camagüey, qui est resté cloîtré, une journée durant, dans sa maison en béton avec ses voisins.

La défense civile cubaine organise également des exercices annuels, nommés « Météores », qui impliquent des centaines de milliers de personnes, pour se préparer à faire face aux catastrophes naturelles. « Elle fait des annonces dans les médias et s’appuie sur les excellents services de l’Institut national de météorologie, qui travaillent de près avec le centre national des ouragans américain de Miami », précise Benigno Aguirre, qui souligne, par ailleurs, la qualité du système de santé cubain.

Mauvais bilan en matière de reconstruction

Mais dans le même temps, juge l’expert, Cuba a un très mauvais bilan en matière de reconstruction, d’atténuation des catastrophes et de gestion des problèmes environnementaux et socioéconomiques chroniques. « Le gouvernement sauve des vies mais ne peut pas aider les gens à reconstruire durablement leur maison, dans un contexte de déficit majeur de logements », poursuit Benigno Aguirre.

Des affaires sèchent dans les rues de Isabela de Sagua, sur la côte nord de Cuba, lundi 11 septembre. / Ramon Espinosa / AP

Il pointe le manque de volonté d’intégrer le concept de résilience – c’est-à-dire la capacité de s’adapter après une perturbation – dans la culture des habitants et dans la politique du gouvernement. « L’extrême centralisation du système politique cubain, ainsi que la pauvreté, empêchent le développement d’initiatives citoyennes pour améliorer la façon de gérer les risques et de vivre autrement », explique-t-il. « Nous devons encore améliorer l’éducation des populations aux risques », confirme Jose Rubiera.

A cela s’ajoutent des problèmes dans la planification urbaine. Si une loi de 2000 interdit officiellement la construction d’édifices sur des sites naturels, comme les plages, les falaises ou les mangroves, en réalité, la construction de logements et d’hôtels se poursuit en bord de mer, parfois illégalement.