Officiellement, il ne s’agit que d’un report. Mais la décision du président du Togo, Faure Gnassingbé, de remettre à une date encore indéterminée le sommet Afrique-Israël qui devait se tenir à Lomé du 23 au 27 octobre est un coup dur pour la diplomatie israélienne. Cette décision brouille en effet les discours optimistes et satisfaits de Benyamin Nétanyahou depuis l’été 2016. Le premier ministre met à son propre crédit un rapprochement inédit avec de nombreux pays du continent africain, battant en brèche l’idée de leur alignement systématique derrière la cause palestinienne.

Membre du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) Hanan Ashrawi a tenu à exprimer, mardi 12 septembre, sa « profonde gratitude à l’égard de l’Afrique du Sud et des nations arabo-africaines, dont l’Algérie, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie », pour leur rôle dans l’annulation du sommet. Cette décision, selon elle, « envoie le message fort que le monde ne laissera pas les mains libres à Israël pour infiltrer les continents africain et sud-américain afin de renforcer la légitimité de l’occupation et de ses votes aux Nations unies. »

Les autorités togolaises s’attendaient à ce que leur initiative diplomatique soit diversement perçue. « Nous ne sommes pas naïfs. Nos diplomates ont visité un certain nombre de pays africains ces derniers mois et nous savions que cela n’allait pas se dérouler sans problème parce que certains avaient des velléités pour s’opposer à ce sommet », affirme Toba Tanama, le conseiller en communication du président togolais. Quelques semaines après l’annonce de ce sommet, le chargé d’affaires du Togo en Arabie saoudite avait été convoqué par le ministère des affaires étrangères saoudien en juillet pour « une demande d’explications ».

Obtenir des soutiens politiques inédits

Selon Toba Tanama, la décision du report aurait d’ailleurs été prise il y a quelque temps déjà. « Elle a été actée lors de la visite privée du président [Faure Gnassingbé] en Israël [du 6 au 8 août] et après des discussions avec le premier ministre israélien. » Pour Lomé, cette précision chronologique, si elle se confirme, n’est pas anodine. « Elle démontre que ce report n’est absolument pas lié à la situation intérieure togolaise », ajoute notre interlocuteur. Le Togo a en effet été le théâtre, début septembre, de plusieurs journées de manifestations de l’opposition qui demande le départ du président Gnassingbé, au pouvoir depuis la mort de son père, Gnassingbé Eyadéma, indéboulonnable chef de l’Etat togolais de 1967 jusqu’à sa disparition en 2005.

De son côté, le ministère des affaires étrangères, à Jérusalem, réfute l’idée d’un report lié au conflit israélo-palestinien. Pour ne pas laisser s’installer le doute, on réfléchit à la possibilité d’accueillir le sommet en 2018, si les principaux pays concernés sont d’accord. « Le report est une décision du Togo, souligne le porte-parole, Emmanuel Nahshon. La question palestinienne n’est pas déterminante. Ce qui se joue, ce sont les changements d’influence sur le continent, même si Israël n’est pas la Chine ou la France. » Selon ce responsable, les tensions sont habituelles à chaque avancée publique avec les pays du continent. « Il y en a eu avant l’ouverture d’ambassades en Israël, comme celle de la Tanzanie en août, ou bien avant le sommet de la Cédéao à Monrovia début juin. » Le roi du Maroc, Mohammed VI, avait annulé sa visite en raison de la présence du premier ministre israélien.

A son retour de Monrovia, M. Nétanyahou avait reçu, le 6 juin, le premier ministre éthiopien, Hailemariam Desalegn. A cette occasion, il a avait pour la énième fois répété son slogan diplomatique : « Israël revient en Afrique, et l’Afrique revient en Israël. » Le 10 juillet, en recevant Paul Kagamé à Jérusalem, M. Nétanyahou avait remercié le président rwandais pour son rôle dans cette stratégie : « Vous avez été le pont indispensable sur lequel nous avons marché pour effectuer notre retour en Afrique, pas à pas. » Dans cette logique diplomatique, Israël a pour arguments ses capacités en matière d’irrigation, d’agriculture et, bien sûr, son expertise sécuritaire qui intéresse de nombreux pays africains. En contrepartie, l’Etat juif espère obtenir des soutiens politiques inédits dans les instances multilatérales. « Pour nous, en 2018, la possibilité d’obtenir un poste de pays observateur au sein de l’Union africaine représente un enjeu stratégique », explique Emmanuel Nahshon. Ce sera de nouveau l’occasion pour Israël de compter ses amis sur le continent.