« C’est parce que j’ai prié » : tous ceux qui, à Saint-Martin, ont sauvé leur maison du cyclone Irma, le 6 septembre, glissent la formule dans leur conversation. « Monique, derrière chez moi, tout est parti », raconte une habitante de Concordia, le quartier administratif de l’île. « Mais ma voisine, Mylène, rien n’a bougé chez elle. Elle m’a dit : j’ai beaucoup prié. D’ailleurs elle va se faire baptiser. » Lolo, un « métro » propriétaire d’un restaurant de plage dévasté, est marié à une Haïtienne : « ça a été : grâce à Dieu, on l’aura pas, puis grâce à Dieu, il va passer à deux kilomètres. Maintenant c’est : notre fille est vivante », soupire-t-il, mais même lui, le laïcard, remercie ses « anges gardiens ».

« Au moment de la catastrophe en Haïti, les personnes âgées auxquelles je rendais visite me disaient : c’est normal, ils font le vaudou là-bas », raconte Emilie Mailho, infirmière à domicile sur la Côte-sous-le-vent, dans l’ouest de Basse-Terre, en Guadeloupe. Quelques jours avant Irma, c’est une autre musique : « ça va nous passer dessus, en Guadeloupe, on ne prie plus, on se conduit mal, il y a de la drogue. » Irma a, finalement, épargné leur île. « Depuis j’entends : c’est normal, on a beaucoup prié. Leur beaucoup sous-entend : plus qu’eux »

« Elle priait pour l’île »

Les prières, l’île de Saint-Martin vit avec, avant et depuis Irma. Elles ont accompagné les ultimes consultations des sites météo comme Sxm cyclone (« le meilleur ») ou celui de Météo-France, pour suivre heure par heure la course hésitante de l’ouragan entre la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy : des îles essentiellement catholiques ou adventistes, mais traversées depuis des siècles par des croyances dont témoignent encore les quimboiseurs, ces sorciers qui jettent des sorts. « Au Leader Price de Saint-Martin, la veille de l’ouragan, j’ai entendu une femme hurler près des caisses », raconte un habitué. « On a eu peur. En fait, elle priait pour l’île. »

Deux jours avant le cyclone, Valérie Lieko, auteur de polars sentimentaux plantés dans les décors de la Caraïbe (Disparitions en eau turquoise, Chassé-croisé Paris-SXM), est conviée, avec son mari, aux cinquante ans d’une amie, sur la plage de Cakao, dans le Deusch Side de Saint-Martin – la partie hollandaise de l’île. Devant les paillotes du restaurant privatisé pour l’occasion, l’anniversaire a le faste d’un mariage : « invités habillés en rose, le dress code unisexe de la fête, serveurs en tutu, champagne à gogo » « Très Sint-Maarten », comme elle dit.

Valérie a oublié depuis longtemps le goût du catéchisme et de la messe. Mais quand elle a vu, ce 3 septembre, qu’on tranchait un cochon entier sur la plage de sable blond pour le cuire sur une branche, elle a glissé à son mari : « C’est comme le veau d’or. C’est sûr, je le sens, c’est sûr, on va l’avoir le cyclone. L’île va payer ses vices. » Deux nuits plus tard, le restaurant est entièrement balayé et le couple finit la nuit serré avec ses enfants dans un dressing, la seule pièce de la maison qui n’a pas cédé. « J’avoue, raconte-t-elle, pour la première fois de ma vie, j’ai prié la Vierge Marie. »