Boko Haram au sud-est, attaques répétées dans l’ouest, tentative de déstabilisation au Tchad et contrôle des migrants : Mohamed Bazoum, le ministre de l’intérieur du Niger, revient sur les enjeux sécuritaires auquel doit faire face ce pays hautement stratégique du Sahel.

Le gouvernement est toujours sans nouvelles des 39 femmes et enfants qui ont été enlevés à Ngalewa, dans la région de Diffa, le 4 juillet par des éléments de Boko Haram lors d’une attaque où neuf personnes avaient péri égorgées. Par ailleurs, début septembre, une tentative d’enlèvement a eu lieu à Koutou.

Après l’enlèvement de début juillet et la tentative d’enlèvement à Koutou, observe-t-on un changement de stratégie de la part de Boko Haram ?

Mohamed Bazoum Ce changement, cela serait cet acte qu’ils ont posé. De façon générale, c’est une organisation qui a été défaite et ne me semble plus posséder de direction centrale qui donne des ordres et mène des actions planifiées. Il y a comme une débandade qui fait qu’ils sont réduits à végéter et à survivre.

Fin 2016, une démarche d’amnistie a été entreprise auprès des repentis de Boko Haram. Où en est votre programme de réintégration ?

Nous avons ouvert un camp pour les y installer. Ils sont au nombre de 150. Cette semaine, nous commençons un programme d’enseignement religieux à la faveur duquel nous pensons pouvoir leur enseigner un islam qui les fera revenir de leur lubie ; une lubie qui leur avait causé beaucoup de souffrances en partant dans les rangs de Boko Haram.

Un plan de sortie de crise est en cours dans la région de Diffa. En quoi consiste-t-il ?

La première étape est de faire retourner les populations dans leurs villages pour qu’ils reprennent les activités grâce auxquelles elles vivaient jusqu’aux événements. Dans un deuxième temps, il s’agit de procéder à des investissements de type structurel, pour changer les paramètres de l’économie de la région et ainsi créer les conditions d’une vie plus décente au profit des populations.

Il y a Boko Haram au sud-est et à l’ouest, le Niger fait également face à des attaques répétées. Qui sont ces agresseurs de l’ouest du Niger ?

Ce sont des jeunes du Niger qui ont été embrigadés au cours de l’année 2012 par le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Cette organisation, vous vous en souvenez, était venue dans le sillage de l’occupation du nord du Mali. […] Ces jeunes gens ont été démobilisés au lendemain de l’opération « Serval », mais ont repris leurs activités sous la férule d’un certain Abu Walid Al-Sahraoui qui est l’un des anciens dirigeants du Mujao. C’est ce groupe qui sévit dans cette partie du Niger.

Abu Walid Al-Sahraoui est le leader de l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Aujourd’hui, l’EIGS est-il la principale menace sécuritaire pour le Niger ?

Oui tout à fait, c’est la menace qui pèse sur nous. Ce n’est pas une menace particulièrement dangereuse, mais c’est la menace à laquelle nous faisons face aujourd’hui.

La situation au nord du Tchad, à la frontière libyenne, s’est fortement dégradée le mois dernier. Ces deux pays sont frontaliers du Niger. Considérez-vous ce conflit comme une menace directe pour le Niger ?

En Libye, il y a une opposition armée au gouvernement tchadien qui, semble-t-il, a tenté quelque chose. Si le Tchad est déstabilisé, le Niger aussi le sera. Il y a beaucoup de milices armées de toutes les nationalités, du Niger notamment, dans le Sud libyen. Evidemment que nous ne nous sentirons jamais en paix et en sécurité tant qu’une telle situation continuera de prévaloir en Libye.

Pour passer à l’épineuse problématique des migrants, on l’a vu ces derniers mois, le Niger est au cœur de la question migratoire en Afrique de l’Ouest. Quelle est la position de votre gouvernement sur cette question ?

Nous savons que le trafic des migrants est indissociable du celui des armes et de la drogue. Lorsque nous luttons contre l’un des trafics, nous luttons contre l’ensemble. Cet impératif sécuritaire est un motif suffisant pour que nous soyons engagés comme nous le sommes contre le trafic des migrants.

Le gouvernement nigérien a entrepris une criminalisation du système des passeurs. Ne pensez-vous pas que cette mesure a créé de nouvelles routes migratoires, plus dangereuses, que l’on pourrait lier aux morts de migrants qui ont actuellement lieu dans le désert du Niger ?

Je pense que les morts, il y en avait déjà lorsque les médias n’en parlaient pas et que nous n’avions pas adopté notre législation. C’est vrai que, dans la mesure où nous avons criminalisé ce trafic, nous avons imposé aux passeurs d’utiliser des voies de contournement. Mais c’est aussi le prix à payer pour notre sécurité, le prix à payer pour les engagements que nous avons pris à La Valette. Il est aussi vrai que cela remet en cause l’économie qui a été générée par ces trafics, dont vivent certains citoyens. Mais avec les Européens, nous sommes en train de discuter pour que soient promus des projets qui n’ont plus rien d’illégal et qui permettent aux Nigériens de vivre d’une activité pérenne, qui n’a plus rien de criminel.