La Péniche Cinéma, amarrée dans le parc de La Villette. / E. JARDONNET/« LE MONDE »

C’est un jeu de chaises musicales inédit qui secoue les rives du bassin de La Villette et du canal de l’Ourcq. Début juillet, à la suite d’un appel à candidatures lancé au printemps, trois des huit péniches à vocation culturelle implantées dans le 19e arrondissement de Paris ont appris qu’elles étaient priées de quitter les berges avant le 2 janvier prochain, alors même que quatre nouveaux emplacements sont créés.

Une annonce vécue comme un choc par les péniches Cinéma, Anako et Demoiselle, qui doivent céder leur place à des concurrents aux contours économiques diamétralement opposés. « Comment se fait-il que des projets culturels installés depuis dix ans soient remplacés par une annexe de Carrefour et une autre de la Bellevilloise dont le patron, Renaud Barillet, est à lui seul un pan de la culture parisienne ? », résume Franck Delrieu, responsable de la Péniche Cinéma. Depuis, les signatures s’accumulent sur les pétitions de soutien en ligne (près de 24 000 au total), et une journée de mobilisation conjointe est prévue le dimanche 17 septembre sur la péniche Anako.

Projet d’agriculture urbaine

La liste des sélectionnés n’étant pas publique, les informations sur les nouveaux arrivants circulent au gré des déclarations des élus ou des intéressés. La péniche proposée par le groupe Carrefour est un projet d’agriculture urbaine avec vente en circuit court et restauration sur place, nous précise-t-on à la Ville. Quant à Renaud Barillet, gêné d’hériter de cette mauvaise publicité, il conteste le raccourci le concernant : « Il ne s’agit pas du tout d’une extension de la Bellevilloise. Je soutiens de manière minoritaire un projet indépendant de péniche-bal. » L’entrepreneur culturel, par ailleurs président du cluster Cultplace, qui crée des lieux de vie à dimension culturelle (La Rotonde, la Petite Halle de La Villette, les Dock B à Pantin, etc.) regrette d’être « mis en porte-à-faux » dans cette histoire : « Nous avons simplement candidaté, notre démarche est positive. Et évidemment, on souhaite que ces personnes trouvent une suite. »

Franck Delrieu, fondateur de la Péniche Cinéma : « La Ville ne veut plus de menu fretin dans ce nouveau business plan d’eau ! »

« Jusque-là, seuls des projets associatifs, à but non lucratif, avaient droit de candidater sur ces emplacements, détaille Franck Delrieu. Aujourd’hui, le secteur privé s’invite à la table. Au passage, les conditions d’exploitation ont été revues à la hausse. En plus du loyer dont elles s’acquittaient déjà, les péniches devront verser un pourcentage de leur chiffre d’affaires. Ils ont changé toutes les règles du jour au lendemain. La Ville ne veut plus de menu fretin dans ce nouveau business plan d’eau ! », analyse le fondateur de la Péniche Cinéma, spécialisée dans les projections, rencontres et stages autour du court-métrage.

Même son de cloche du côté du président d’Anako, Sarven Ozaltin, dont la péniche, mise à disposition par la Croix Rouge arménienne, propose chaque soir une programmation en lien avec les peuples et cultures du monde (musiques traditionnelles, débats, projections…) : « On ne s’est pas rendu compte qu’ils attendaient autre chose : plus de restaurants et de commerces. Il n’y a pas eu de dialogue… » La chose la plus « incompréhensible » : « Pourquoi stopper net une association à l’équilibre financier qui, partie de zéro, crée vingt événements par mois sur un champ sans équivalent à Paris ? L’appel à candidatures parle de mixité, de culture, de respect : on a l’impression que l’on répond à tous les critères ! »

Arrêt de mort

Les trois péniches écartées, qui comptent plusieurs emplois et des dizaines de bénévoles, s’accordent pourtant à dire que cette décision signe leur arrêt de mort : « Nous sommes sommés de quitter les lieux sans aucune alternative, comme si un lieu pouvait quitter ses bases du jour au lendemain pour aller se réinventer en dehors de Paris et du réseau des canaux », dit-on du côté de la Péniche Cinéma, qui espère qu’un compromis sera trouvé.

« Cette polémique dépasse le cadre de nos péniches : cela pose la question de ce que l’on veut faire de notre ville », dit Sarven Ozaltin. Les trois structures, qui restent « combatives », annoncent qu’un vœu va être déposé au Conseil de Paris, et envisagent à terme le dépôt d’un recours « pour vérifier si tous les critères ont été respectés de la part du jury », composé de représentants de la mairie du 19e, de Pantin et de l’établissement public de La Villette.

Jointe par téléphone, la Ville précise que cette mise en concurrence pour l’occupation du domaine public n’est qu’une mise en conformité avec la loi Sapin 2. Et que la durée des concessions, désormais de dix ans, contre un an jusqu’ici, a pesé dans les choix. Mais se veut rassurante : « Les adjoints sont sensibles à la situation de ces gérants, on va faire le maximum pour satisfaire tout le monde. » La sélection doit encore être votée au Conseil de Paris dans les semaines à venir..