Selon nos informations, Bruno Le Maire a réussi à convaincre quatre nouveaux pays de se joindre à l’initiative tricolore : la Bulgarie et l’Autriche, la Slovénie et la Grèce. / LUDOVIC MARIN / AFP

C’est l’une des priorités d’Emmanuel Macron, et, par extension, de son ministre de l’économie Bruno Le Maire. A l’heure où les mécanismes d’optimisation fiscale utilisés par les géants du numérique sont de plus en plus décriés, Paris entend montrer qu’elle est à la manœuvre pour fédérer rapidement les Européens autour d’une initiative commune de taxation des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) pays par pays, sur la base de leur chiffre d’affaires.

Selon nos informations, M. Le Maire a réussi à convaincre quatre nouveaux pays de se joindre à l’initiative tricolore : la Bulgarie et l’Autriche – qui prendront successivement la présidence tournante de l’Union européenne en 2018 –, la Slovénie et la Grèce.

En parallèle, « la Pologne va réunir un groupe de pays qui apporteront leur soutien à notre initiative, mais sans signer la lettre » précise au Monde l’entourage de M. Le Maire. En effet, un certain nombre d’Etats européens seraient contre la mention dans cette lettre du projet fiscal actuellement en chantier à la Commission, sur la standardisation au niveau européen du calcul de l’impôt sur les sociétés, dit « Accis ».

« Avancer à 27 »

En début de semaine, on avait appris que M. le Maire avait obtenu l’accord de ses homologues allemand, Wolfgang Schäuble, italien, Pier Carlo Padoan, et espagnol, Luis de Guindos, prêts à signer une lettre commune réclamant une taxation « appropriée » pour l’économie numérique. La proposition française : une « taxe d’harmonisation sur le chiffre d’affaires des géants du numérique », qui consisterait à taxer les géants du numérique sur la base de leurs revenus, et non pas de leur bénéfice, comme c’est le cas avec l’impôt sur les sociétés. En effet, les GAFA sont le plus souvent organisés afin de concentrer leurs bénéfices dans les filiales à la fiscalité la plus légère. Juridiquement, une société n’est soumise à l’imposition dans un pays que si elle y dispose d’un « établissement stable », ce que ces groupes essaient à tout prix d’éviter, en faisant par exemple valoir qu’il ne s’agit que de filiales marketing.

Vendredi matin, Paris espérait désormais obtenir le soutien formel de la présidence estonienne lors de la réunion des ministres des finances européens (Ecofin) qui se tient les 15 et 16 septembre à Talinn, avant une prise de position des dirigeants européens lors du Sommet numérique du 29 septembre. « Nous souhaitons une proposition de la Commission au premier trimestre 2018 » précise-t-on à Bercy.

L’initiative menée tambour battant par la France n’est pas sans irriter Bruxelles, où le chantier Accis mobilise les énergies, alors que l’OCDE travaille également sur ces sujets. Jeudi 14 septembre, Pierre Moscovici, le commissaire européen aux affaires économiques et financières, a salué la proposition tricolore, tout en se montrant circonspect. « C’est un sujet sur lequel nous devons avancer à 27. Si chacun avance dans son coin, alors on va créer des sortes de paradis numériques et induire des distorsions nouvelles », a-t-il mis en garde.

« Une opportunité historique »

Dans l’entourage de M. Le Maire, on met en avant l’urgence de la situation. « Les chances d’aboutir rapidement sur la base d’Accis sont très faibles, car il faut arriver à s’entendre sur une base d’impôt sur les sociétés, parvenir à une consolidation entre les Etats membres et résoudre le problème de la base taxable. Notre projet, lui, ne demande aucune modification du droit de la fiscalité internationale. Ce qui nous permet d’arriver à des résultats dans des délais raisonnables » argue-t-on.

« Notre initiative n’est pas contraire aux travaux sur Accis et à ceux de l’OCDE mais complémentaire » martèle Bruno Le Maire, selon qui « il s’agit d’une opportunité historique de refonder la fiscalité internationale à l’ère du numérique. »

Au demeurant pourtant, la proposition tricolore demande encore à être approfondie. Comment évaluer le chiffre d’affaires des géants du web pays par pays ? Comment éviter que des entreprises payant déjà leurs impôts en France soient pénalisées ? Et comment garantir la solidité juridique d’un dispositif ne visant que quelques entreprises ? Autant de questions auxquelles Paris doit encore répondre précisément, alors qu’aucune étude d’impact n’a pour l’heure été communiquée sur ces sujets.

« Les impôts des entreprises déjà taxées seront déduits de cette taxe, elles ne paieront pas davantage. Et nous fixerons un seuil afin que les start-up qui démarrent leur activité n’y soient pas soumises » assure-t-on à Bercy.

Pour la France, l’enjeu est aussi de « récupérer des recettes fiscales de l’ordre de plusieurs milliards d’euros par an » indique l’entourage de M. Le Maire. Un argument de poids en France, à quelques jours de la présentation d’un projet de loi de finances 2018 particulièrement tendu.