Natashia, 19, an indigenous Zapotec transgender woman also know as Muxe, moves a furniture inside her house destroyed after an earthquake that struck on the southern coast of Mexico late on Thursday, in Juchitan, Mexico, September 10, 2017. Picture taken, September 10, 2017. REUTERS/Edgard Garrido / EDGARD GARRIDO / REUTERS

Le va-et-vient des Boeing 727 et des hélicoptères Black Hawk donne le vertige sur le tarmac de l’aéroport militaire d’Ixtepec dans l’Etat de Oaxaca au sud-ouest du Mexique. Ces appareils de l’armée et de la police transportent des vivres destinés aux centaines de milliers de sinistrés de cette région ravagée, le 7 septembre, par le tremblement de terre le plus puissant du pays (8,2 sur l’échelle de Richter) depuis un siècle. Le temps presse. Depuis jeudi 14 septembre, des pluies torrentielles aggravent la crise alors que le dispositif humanitaire du gouvernement est critiqué.

« Chaque jour, nous recevons 40 tonnes de nourriture, de médicaments, de produits d’hygiène et de couvertures », explique le général Alonzo Duarte, responsable de la réception de l’aide dans l’Etat de Oaxaca, en collaboration avec la Croix-Rouge. Sur les 98 personnes décédées à cause du tremblement de terre, dont l’épicentre a été localisé près de la côte de l’Etat voisin du Chiapas (sud), 78 sont mortes dans cette région. Depuis, 9 500 militaires sont déployés dans ces deux zones sinistrées. Au fond d’un immense hangar rempli de montagnes de boîtes de conserves, de couches-culottes et de bouteilles d’eau, le centre de commandement de la protection civile recense et situe les dégâts sur des cartes. Dans la région, plus de 12 000 bâtiments seraient endommagés, voire détruits.

Ce bilan, provisoire, pourrait s’alourdir, car le Mexique est actuellement victime d’une véritable série de catastrophes naturelles. L’ouragan Max (catégorie 1) – finalement, rétrogradé en tempête tropicale au moment où il a touché, jeudi, la côte pacifique plus au nord –, génère de fortes averses. Un autre ouragan, Norma (catégorie 1), devrait frapper, lundi 18 septembre, l’Etat de Basse-Californie (nord-ouest), aggravant les intempéries dans l’Etat de Oaxaca. Sans compter les 1 900 répliques du séisme qui se font sentir depuis neuf jours, dont une de magnitude 6,1.

Juchitan, ville la plus dévastée

In this Saturday, Sept. 9, 2017 photo, an altar to the Virgin of Guadalupe is covered with fallen debris inside the earth-damaged home where Larissa Garcia, 24, lived with her family in Juchitan, Oaxaca state, Mexico. The family was caught under rubble when the house partially collapsed during a magnitude 8.1 earthquake, leaving Garcia with a broken arm and her father with a head injury. Her mother, who had to be pulled out from underneath a foot-thick section of wall which collapsed on her back, remains in a wheelchair and unable to walk. (AP Photo/Rebecca Blackwell) / Rebecca Blackwell / AP

A sept kilomètres de là, des amas de gravats trônent à l’entrée de Juchitan, la ville la plus dévastée (37 morts). Maisons écroulées, clochers fissurés, mairie effondrée… Cette agglomération de 75 000 habitants ressemble à un champ de bataille. Des pelleteuses s’agitent dans ses rues poussiéreuses, jonchées de débris. Dans la cour de l’université technologique de Juchitan, transformée en refuge, les sinistrés tentent de sécher, entre deux averses, leurs vêtements, malgré la moiteur.

Sous une immense bâche en plastique, Jésus Martinez, 32 ans, tient un nourrisson dans les bras. « On ne dort plus. On a peur des répliques et des inondations. » Le 7 septembre, cet ouvrier et sa famille ont échappé à la mort, en sortant de leur maison juste avant que son toit ne s’écroule. D’autres n’ont pas eu cette chance. Des larmes glissent sur le visage de Margarita Orozco quand elle raconte comment son père a été écrasé par la chute d’un mur. En compagnie de sa mère, cette lycéenne de 16 ans fait la queue devant le gymnase de l’université, devenu un centre de récolte et de distribution de vivres.

A côté stationne un camion de l’armée, équipé d’énormes fours et plaques de cuisson. « Sa capacité est de 2 000 repas trois fois par jour », explique le capitaine Alberto Ramos. A quelques mètres, une unité médicale mobile accueille les patients : 1 125 médecins et infirmières arpentent la région. « Il y a beaucoup de diarrhées et des infections respiratoires à cause de la poussière », constate un docteur qui s’inquiète des risques d’épidémie de dengue liés aux pluies. Selon le capitaine Ramos, « de plus en plus de gens viennent se nourrir et se soigner dans la quarantaine de refuges provisoires installés dans l’Etat de Oaxaca ». Mais seuls 300 sinistrés dorment ici dans les tentes fournies par l’armée. « Les gens ne veulent pas quitter leurs maisons par crainte des vols », déplore l’officier.

Détournement de l’aide humanitaire

Partout à Juchitan, des familles se sont installées en face de leurs demeures dévastées. Assises sur des chaises en plastique ou couchées sur des matelas surélevés par des parpaings, elles se protègent des intempéries sous des bâches de fortune. « La nuit, mes enfants font des rondes, armés de machettes pour dissuader les voleurs », confie Rosario Piñeda, 52 ans, qui apprécie d’être ravitaillée par l’armée au centre-ville. Mais la colère gronde dans les quartiers périphériques. « Ici, on est oubliés par les militaires », peste Rosita Gomez, 36 ans, qui vivait dans une baraque en taule, soufflée par le séisme.

Selon la presse, l’aide peine aussi à parvenir dans de nombreux villages isolés. D’autres dénoncent le détournement par des fonctionnaires municipaux de l’aide humanitaire collectée localement. Des accusations confirmées dans la presse par des délégués de la Croix-Rouge. « Ils revendent les vivres ou les monnayent contre un vote en leur faveur pour les élections de 2018 », fustige Abelardo Sanchez, commerçant de 63 ans.

Face à l’urgence, la société civile se mobilise dans les grandes villes du pays, dont Mexico. Le célèbre peintre Francisco Toledo, originaire de Juchitan, a monté un collectif d’artistes et d’intellectuels pour récolter des dons. « Nous envoyons des aliments mais aussi des casseroles et du charbon pour que les sinistrés cuisinent entre voisins », explique M. Toledo joint par téléphone. Sur place, c’est son assistante, Ana Hernandez, qui gère l’approvisionnement de vingt et une cuisines communautaires installées dans les rues. « La population doit s’organiser pour pallier la corruption et le clientélisme », justifie cette trentenaire qui pense que « la crise ne fait que commencer ».

De son côté, le président, Enrique Peña Nieto, multiplie les déplacements dans les Etats de Oaxaca et du Chiapas. Vendredi 15 septembre, il a revu à la baisse le nombre des sinistrés : ils seraient 100 000 dans l’Etat de Oaxaca et non 800 000 comme annoncés préalablement. Mais Mme Hernandez ne le croit pas en regard de l’ampleur des dégâts. Ce recensement est crucial pour débloquer la totalité des 312 millions d’euros du fonds des désastres naturels et des 125 millions d’euros d’une assurance souscrite par le gouvernement permettant de lancer les travaux de reconstruction. Les autorités aideront-elles tous les sinistrés à retrouver leur toit ? La question est sur toutes les lèvres à Juchitan, épicentre de la détresse d’une région, où sept habitants sur dix sont pauvres.