Avec 50 millions de joueurs quotidiens, « Honor of Kings » (« Arena of Valor » chez nous) est le jeu le plus joué au monde. / Tencent

C’était l’annonce la plus inattendue, et à certains regards, la moins relevée du Nintendo Direct, la vidéoconférence diffusée dans le monde entier par Nintendo jeudi 14 septembre. Entre les présentations de Doom, Wolfenstein II, d’un nouveau jeu de rôle par les équipes de Square Enix (Bravely Default) et une longue séquence de Super Mario Odyssey montrant entre autres Mario torse nu, s’est glissé la bande-annonce d’Arena of Valor, un jeu compétitif déjà sorti cet été sur smartphones... et bien connu des experts.

« Je n’en crois pas mes yeux. Le plus important jeu free-to-play pour smartphone au monde (Arena of Valor du Chinois Tencent) arrive sur Switch cet hiver », s’est ainsi exclamé sur Twitter Serkan Toto, analyste reconnu du jeu vidéo mobile en Asie. Daniel Ahmad, spécialiste du marché chinois, parle même de « MEGATON », terme humoristique né sur Internet pour évoquer une annonce surprise capable de redistribuer les cartes.

Arena of Valor Nintendo Switch Announcement Trailer
Durée : 00:48

Le « League of Legends » mobile

C’est que derrière son nom encore inconnu en Occident, Arena of Valor est tout simplement le jeu le plus joué au monde. Alors que Playerunknown’s Battleground vient de battre le record de joueurs simultanés sur Steam avec 1,3 million d’utilisateurs connectés en même temps, le titre du Chinois Tencent caracole à 50 millions de joueurs quotidiens. Une machine de guerre d’un niveau a priori supérieur à League of Legends et ses 100 millions de joueurs mensuels.

Lancé en 2015 sous le nom de King of Glory, puis rebaptisé Honor of Kings – son nom actuel en Chine –, Arena of Valor n’est pas un titre qui se démarque par une originalité folle. Il reprend presque à l’identique tous les ingrédients de League of Legends, que Tencent possède également, depuis le rachat de son éditeur Riot Games. Soit des affrontements tactiques en temps réel, par équipes de cinq, dans une arène peuplée de créatures fantastiques.

Honor of Kings Top 1 Luna player in China
Durée : 04:48

Là où Arena of Valor se distingue, c’est sur son format et son thème. Pensé d’emblée pour le jeu mobile, il propose des contrôles plus simples, des cartes plus réduites et des sessions plus courtes que League of Legends, qui est lui un jeu pour PC, ainsi que des batailles en partie automatisées. D’autre part, à la galaxie de champions venus de tous types de cultures et d’imaginaires développée par Riot, il oppose des héros directement tirés de la tradition chinoise.

Un phénomène e-sport en Chine

Le succès a pour l’instant été foudroyant : lancement mi-2015, 7,5 millions d’utilisateurs quotidiens six mois plus tard, 50 millions encore un an plus tard. Sur le modèle de League of Legends, Tencent a largement investi dans l’e-sport pour dynamiser l’activité autour de son nouveau jeu phare, en créant en 2016 une ligue dédiée, la King Pro League.

« Le tournoi a enregistré plus de 70 millions de spectateurs via les plates-formes de diffusion en direct dont 13 millions pour la dernière journée. Honor of Kings a fait exploser la scène mobile e-sport en Chine de manière spectaculaire et l’année 2017 s’annonce plus grande que jamais », explique Daniel Ahmad dans une note d’analyse pour Niko Partners.

KPL春季赛第3周 QG happy 2-0 SC 第2场
Durée : 18:45

Et ce n’est pas tout. Selon Hervé Sohm, développeur d’affaires internationales auteur d’une conférence sur le jeu vidéo mobile en Chine lors du Game Camp de Lille début juillet, c’est près de 300 millions de joueurs qui pourraient s’y être convertis en 2018. « King of Glory, le jeu qui cartonne en ce moment, amène l’e-sport mobile à un niveau que l’on ne soupçonnait pas, il a dépassé l’e-sport PC. Tencent prévoit de construire une ville autour de l’e-sport. »

Débuts timides sur iPhone et Android

Pour Tencent, géant chinois du Web et numéro un mondial du jeu vidéo en termes de chiffre d’affaires, le principal défi consiste désormais à réussir à exporter son titre. Interrogé en juin dernier par Le Monde, Xianming Meng, PDG de la société de jeu vidéo chinoise Wangyuan.com, présente pour la première fois au Salon du jeu vidéo de l’E3, évoquait les velléités nouvelles de son industrie : « Le jeu vidéo chinois a longtemps eu un complexe d’infériorité vis-à-vis des productions occidentales. Mais nous avons progressé et avons le sentiment d’être désormais à la hauteur. »

Lancé le 11 août en Occident sur iOS et Google Play, Arena of Valor s’est pour l’instant fait un petit trou. Sur la plate-forme de Google, il a cumulé entre 1 et 5 millions d’installations au niveau mondial – un chiffre très honorable, mais bien loin des 50 millions de joueurs quotidiens de sa version chinoise. Sur iOS, il n’apparaît pas dans le top 50 des jeux les plus téléchargés ni les plus rentables ; il ne figure pas non plus dans les cinquante jeux les plus suivis sur la plate-forme de diffusion en direct Twitch, contrairement à d’autres jeux mobiles comme Summoner Wars ou Clash Royale. Nicolas Cerrato, fondateur du site d’analyse Gamoloco, reste prudent :

« Il a connu un pic au moment des opérations spéciales payées par l’éditeur en août mais depuis c’est retombé. Cela dit, j’ai l’impression, via d’autres informations glanées chez des gens qui sont à fond dessus, que le jeu est vraiment bon et pourrait exploser. »

Sorti tardivement sur un marché déjà rempli de titres similaires, comme Mobile Legends, Heroes Arena ou Heroes of Valor, Arena of Valor souffre pour l’instant d’un manque manifeste de notoriété. Tencent a toutefois de quoi venir. La société, qui s’emploie à répondre au moindre commentaire négatif en français, a pu profiter du Nintendo Direct pour bénéficier d’une médiatisation supplémentaire. Sur Switch, où il ne devrait avoir aucun concurrent au moment de son lancement en hiver, il aura à charge d’être le premier jeu chinois à rayonner en Occident.