Angela Merkel, lors d’un meeting à Ratisbonne, le 18 septembre. / MICHAEL DALDER / REUTERS

Editorial du « Monde ». L’Allemagne est-elle vraiment prête à prendre sa part dans les affaires du monde ? Au vu de la campagne électorale qui s’achève, on est en droit d’en douter. Hormis l’avenir de la sacro-sainte automobile et les négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, on chercherait en vain un thème qui ait suscité un vrai débat dans la première économie européenne.

A l’heure où les Européens s’inquiètent de l’activisme nucléaire de la Corée du Nord, des foucades de Donald Trump et des attentats à répétition sur leur sol, les partis politiques allemands, et notamment le premier d’entre eux, l’Union chrétienne-démocrate d’Angela Merkel, donnent de leur pays une image un tantinet provinciale. Le calendrier est cruel : alors que la plupart des dirigeants de la planète sont, ces jours-ci, à New York pour assister à l’Assemblée générale des Nations unies, Angela Merkel, elle, continue imperturbablement de battre l’estrade dans de petites villes de province, ne s’octroyant qu’une seule pause pour célébrer… les 75 ans de son inamovible ministre des finances, Wolfgang Schäuble.

La frustration des électeurs

Deux bonnes raisons expliquent cette campagne atone. La première est que, en raison du scrutin en partie proportionnel, les partis ne négocient leurs alliances qu’une fois le résultat des élections connu. Les campagnes en Allemagne sont traditionnellement un théâtre d’ombres où aucun parti ne dit véritablement avec qui il veut gouverner. Les duels ne se font qu’à fleuret moucheté. Deuxième raison : selon une récente étude de la fondation Bertelsmann, les Allemands figurent parmi les Européens les plus optimistes (59 % jugent que leur pays est sur la bonne voie), et 80 % d’entre eux se situent au centre de l’échiquier politique. Quant à Angela Merkel, elle continue de jouir d’une popularité insolente, y compris parmi ses opposants. Dès lors, pourquoi débattre des sujets qui fâchent ?

Le problème est que cette image d’une Allemagne qui s’ennuie n’est qu’en partie fondée. « Le calme qui règne à Berlin est trompeur. Le pays bouillonne », remarquait l’hebdomadaire Der Spiegel le 9 septembre. Que le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), malgré ses dissensions internes et la médiocrité de ses dirigeants, puisse espérer devenir au soir des élections, le 24 septembre, le troisième parti du pays, derrière la CDU et les sociaux-démocrates, en dit long sur la frustration d’une partie des électeurs.

De réels sujets d’inquiétude

En 2015, Angela Merkel a pris une décision contestée mais courageuse et historique : l’accueil d’un million de réfugiés, venus notamment de Syrie et d’Afghanistan. « On y arrivera », disait-elle. Deux ans après, ce pari est en passe d’être gagné. Tous sont logés, les enfants sont scolarisés et, peu à peu, les adultes apprennent l’allemand et s’intègrent sur le marché du travail. Mais que ce bouleversement sociologique de l’Allemagne et ses conséquences sur le reste de l’Europe n’aient donné lieu à aucun débat de fond durant la campagne ne peut que favoriser l’extrême droite. D’autant que, si l’Allemagne va bien, les Allemands ont de réels sujets d’inquiétude, voire de mécontentement : les inégalités augmentent, les retraités paient la modestie de leurs salaires passés, les loyers explosent, le marché du travail se fragmente et les investissements publics sont à la traîne.

On peut comprendre qu’Angela Merkel ait, tactiquement, cherché à minimiser ces problèmes. Mais ils pèseront demain, en Allemagne et sur l’Europe.