A l’intérieur du dôme de Richard Buckminster Fuller, l’installation de Céleste Boursier-Mougenot : une piscine sur les eaux de laquelle naviguent des bols de porcelaine. Au gré du courant et des vents, ils s’entrechoquent pour jouer une mélodie. / Morgan Fache/Collectif Item pour  « Le Monde »

Auparavant, il abritait des radars de l’armée américaine. Aujourd’hui, il héberge une installation des plus sereines de l’artiste Céleste Boursier-Mougenot. Le dôme géodésique de Richard Buckminster Fuller, architecte visionnaire de l’après-guerre, connaît à Lyon un nouveau destin. Posé sur l’esplanade de la place ­Antonin-Poncet, en accès libre, il s’impose comme un ovni aux abords du fleuve.

Icône de l’architecture utopiste, igloo futuriste, il semble échoué là, comme les rêves d’un monde meilleur que portait ce théoricien et philosophe de l’architecture. Constitué d’une multitude de pentagones, il ressemble à une boule à facettes géante que n’aurait pas épargnée le temps.

Le dôme géodésique de l’architecte Richard Buckminster Fuller a été posé sur l’esplanade de la place ­Antonin-Poncet, à Lyon, dans le cadre de la 14e Biennale d’art contemporain. / Morgan Fache/Collectif Item pour Le Monde

Voilà en effet plus de vingt ans que ce vaste habitacle n’était pas sorti des réserves du Centre Pompidou, qui l’a acquis en fragments et l’a exposé pour la dernière fois dans le cadre d’une exposition consacrée au lien entre art et ingénierie, en 1997. Sa fibre de verre s’est écaillée, sa peau a pris des tons beiges, mais la structure garde toute sa superbe. Une fois que l’on y pénètre, c’est un autre saisissement.

« Rotondité des sons »

Une vaste piscine ronde s’y déploie, sur les eaux bleues de laquelle naviguent des dizaines de bols de porcelaine. Au gré du courant, artificiel, mais aussi au gré des vents qui s’engouffrent sous cette demi-sphère, ils s’entrechoquent doucement pour jouer une mélodie cristalline. Un cliquetis toujours recommencé, composé par le hasard et le jeu des éléments.

C’est la cinquième version que Céleste Boursier-Mougenot livre de cette sculpture mouvante ; à chaque apparition, elle est plus parfaite. Maîtrise de la température de l’eau, analyse acoustique des différents types de bol : l’artiste interprète cette pièce comme une partition, affinant toujours un peu plus ses paramètres. « Ici, il y a une vraie rotondité des sons, ils emplissent l’espace et réagissent aux courants d’air pour créer quelque chose de vivant », analyse le plasticien, musicien aussi expérimental qu’émérite. Amorcée comme un jeu de ses enfants avec la vaisselle de sa cuisine, sa pièce trouve ici un abri idéal, jouant de l’écho du dôme, offrant un moment de paix à cette architecture nomade qui servit un temps pour la guerre.

Nul hasard, mais parfaite orchestration : le dôme géodésique se trouve également au centre du parcours qu’Emma Lavigne a imaginé pour la Sucrière. Un modèle plus petit de Buckminster Fuller, en bois noué cette fois, a été installé de façon à résonner avec le tout nouveau film de l’artiste Julien Discrit. Celui-ci a été inspiré par encore un autre dôme, que Buckminster Fuller avait construit pour l’Exposition universelle de Montréal en 1967, et qui a complètement brûlé dix ans plus tard : reste aujourd’hui sa structure de métal, installée dans un parc de loisirs.

Au cours de ses déambulations sur ces îles artificielles du fleuve Saint-Laurent, Discrit a été frappé par le contraste entre ce parc, « où tout est tiré au cordeau, et la façon dont la nature y est redevenue presque sauvage, en tout cas organique ».

En guise de voix off pour sa vidéo, il a choisi un texte manifeste et visionnaire de Buckminster Fuller des années 1960 : « Ses mots résonnent vraiment avec notre époque, évoquant les énergies renouvelables, le rôle accru joué par la machine, pour se terminer sur la nécessité d’un revenu universel, résume l’artiste. Bref, ils sont très symptomatiques d’un temps où le futur rimait avec espoir, alors que les choses sont devenues plus compliquées par la suite. L’incendie du dôme fut accidentel, mais il cristallise vraiment ce sentiment de perte. »

Cet article a été rédigé dans le cadre d’un partenariat avec la Biennale de Lyon.