Le constat est vite fait. De l’accord de Syrte de 2007, conduit par feu « le médiateur et Guide de la grande révolution libyenne » Mouammar Khadafi, aux deux accords conclus ces derniers mois, l’un en juin à Rome sous l’impulsion de la diplomatie du Vatican (Entente de Sant’Egidio), l’autre en juillet à Libreville conduite par l’Union africaine (Feuille de route pour la paix et la réconciliation en République centrafricaine), les sujets abordés dans ces accords de paix sur la Centrafrique sont pratiquement invariables, tout comme les solutions.

L’ensemble est assorti de vaines promesses : arrêt immédiat des hostilités, partage du pouvoir, cantonnement, désarmement, démobilisation, réintégration et réhabilitation des combattants, retour des réfugiés et des déplacés, protection de civils, respect du droit international humanitaire et des droits de l’homme et, enfin, réconciliation. Ils ne diffèrent sur le fond que sur deux sujets majeurs : l’amnistie générale et le mode de partage du pouvoir.

La situation n’a cessé de se détériorer

Bref rappel des faits : depuis l’ère de François Bozizé (2003-2013), la Centrafrique a connu quatre chefs d’Etat et une succession de conflits armés entre les forces gouvernementales et les groupes armés, voire entre les groupes armés eux-mêmes. La principale ligne de fracture – mais de loin pas la seule – oppose les ex-Séléka (la Séléka fut officiellement dissoute en 2013), des milices du nord-est du pays composées de musulmans, à des groupes d’autodéfense de la majorité chrétienne, les anti-balaka. Tous deux sont responsables de terribles exactions.

Sont aussi intervenues des milices d’autres pays, des forces étrangères (françaises, tchadiennes et ougandaises), ainsi que les casques bleus de l’ONU. Malgré l’élection démocratique de l’actuel chef de l’Etat, Faustin-Archange Touadéra en 2016, et la présence de 12 000 casques bleus depuis trois ans, la situation n’a cessé de se détériorer. A l’heure actuelle, 80 % du pays échappe au contrôle du gouvernement. Le nombre de déplacés a bondi de 400 000 en avril à 600 000 aujourd’hui, auxquels s’ajoutent des centaines de milliers de réfugiés dans les pays voisins. Jamais la situation n’a été aussi préoccupante. Une fois encore, les Nations unies alertent sur le risque de génocide, jugeant que « les signes avant-coureurs sont là », les groupes armés cherchant à « nettoyer » les populations qu’ils considèrent hostiles.

Depuis 2007, une douzaine de plans de paix et feuilles de route pour la réconciliation ont été élaborés sans prise sur le réel. Les leaders des principaux groupes armés, qui se livrent une guerre sans merci, se retrouvent dans une touchante unanimité pour demander à la communauté internationale d’insérer dans chaque accord de paix un généreux programme de désarmement, de démobilisation, de réintégration et de réhabilitation (DDRR) des ex-combattants.

La quadrature du cercle

De même, les groupes armés campent sur des positions identiques pour réclamer une amnistie générale pour les crimes qu’ils ont commis. Ils obtiennent parfois satisfaction, comme dans les accords de paix de Syrte et Birao de 2007, et plus récemment lors de la réunion de Benguela (Angola) de décembre 2016, où l’amnistie est considérée par les leaders de l’ex-Séléka comme « la solution politique et juridique » idoine pour mettre fin à la guerre.

D’autres accords (Libreville 2008 et 2017, Brazzaville 2014) limitent l’amnistie aux crimes non couverts par la Cour pénale internationale (CPI) qui, du reste, a ouvert des enquêtes. Particulièrement ambitieux sur le volet justice, le Pacte républicain de Bangui (2015) prône, outre la CPI, la mise sur pied d’une Cour pénale spéciale (en voie de création), d’une Commission vérité, justice et réconciliation, ainsi que la réforme du système judiciaire et l’emploi des mécanismes endogènes de résolution des conflits. Un menu très complet, mais largement inapplicable du fait de l’absence d’autorité de l’Etat sur le territoire national.

La quadrature du cercle est connue : comment rétablir l’ordre républicain si la réalité du pouvoir est aux mains des groupes armés ? D’où la solution que préconise le président tchadien : privilégier la recherche de la paix quitte à sacrifier provisoirement la justice. Dans un entretien en février à Jeune Afrique, Idriss Déby plaide pour une large politique d’inclusion avec « tous ceux qui sont mis à l’écart par la communauté internationale, à savoir les anciens présidents Bozizé et Djotodia, les chefs de l’ex-Séléka et des anti-balaka. (...) Si parmi eux il y a des gens qui ont du sang sur les mains, laissons du temps au temps. (…) La réconciliation nationale est un préalable. Sans cela, l’essentiel du territoire centrafricain restera sous la coupe de bandes armées. »

Pas de véritable paix sans justice

Un point de vue que rejette la population centrafricaine qui s’est exprimée lors des consultations populaires de 2015 et continue à le faire à travers des espaces de dialogue, affirmant qu’il ne peut y avoir de véritable paix sans justice. Un point de vue auquel souscrit l’Union européenne, qui estime que l’impunité ferait le lit de nouvelles tragédies. Face à un gouvernement de Bangui sans armée ni système judiciaire qui ne tient qu’avec le soutien d’une communauté internationale de plus en plus divisée, la fragmentation et la criminalisation des groupes armés qui pillent l’or et le diamant du sous-sol, la population n’en finit plus de souffrir. Après avoir évoqué que « la justice serait implaccable », le chef de l’Etat, Faustin-Archange Touadéra, a annoncé le 12 septembre un remaniement ministériel comprenant des proches des milices ex-Séléka et anti-balaka au nom de « la réconciliation nationale ». Toujours la recherche d’une résolution de la quadrature du cercle.

En novembre, les Nations unies devront reconduire le mandat des 12 000 casques bleus de la Minusca. Elles devront faire preuve autant d’imagination que de volonté politique pour éviter que perdure le cauchemar des populations centrafricaines. Sinon, comme dit le proverbe africain : « Les éléphants continueront à se battre et à l’herbe à être piétinée ».

Pierre Hazan est conseiller spécial en matière de justice transitionnelle au Centre pour le dialogue humanitaire, à Genève.