Une pilule contraceptive. / RICH PEDRONCELLI / AP

Au terme de quatre années d’enquête, le parquet de Paris a décidé de classer sans suite l’affaire dite des pilules de troisième et quatrième générations. Même s’il est très fortement suspecté, il n’existe « pas de lien de causalité certain » entre la prise de ces traitements hormonaux et les séquelles parfois graves – embolie pulmonaire, accident vasculaire cérébral – que les jeunes femmes leur attribuent, ont expliqué à ces dernières les vice-procureurs du pôle de santé publique, dans un courrier du 16 juin dont Le Monde a pris connaissance.

L’avocat des plaignantes, Me Jean-Christophe Coubris, refuse d’en rester là. Mardi 19 septembre, il dépose plainte avec constitution de partie civile pour qu’un juge d’instruction poursuive les investigations. Il vise les fabricants des pilules concernées et l’Agence nationale du médicament (ANSM) pour « atteinte involontaire à l’intégrité de la personne humaine ». De manière à ne pas alourdir le dossier, seules trois jeunes femmes mènent pour le moment cette action, mais en fonction de l’évolution de l’enquête, d’autres pourraient les rejoindre.

La crise des pilules de troisième et quatrième génération a eu l’effet d’un séisme lorsqu’elle a éclaté à l’hiver 2012 et elle a modifié considérablement les habitudes contraceptives en France. Dans son édition du 15 décembre, Le Monde publie l’histoire de Marion Larat, étudiante promise à un bel avenir mais victime d’un AVC massif en juin 2006, alors qu’elle termine sa classe prépa.

Ses parents demandent des comptes à Bayer. Ils ont la preuve que l’accident cardiovasculaire de leur fille, aujourd’hui lourdement handicapée, résulte de son trimestre sous Méliane. Les risques accrus de thrombose liés à ces nouvelles pilules étaient connus, mais lorsque Marion prenait Méliane, ils ne figuraient pas sur la notice. La crise dure des mois. D’autres jeunes filles déposent plainte. La ministre de la santé, Marisol Touraine, s’en mêle. Fin mars 2013, les 3G et 4G, ces « mini-dosées » et « pilule light », sont déremboursées.

L’enquête a porté sur vingt-neuf pilules

L’enquête menée par les gendarmes de l’Oclaesp, spécialistes en santé et en environnement, a porté sur vingt-neuf pilules de troisième et quatrième générations – celles que prenaient les 130 plaignantes – et les huit laboratoires pharmaceutiques (Bayer, Biogaran, Effik, Fabren, Mylan, Pfizer, Schering Plough, Teva) qui ont commercialisé ces traitements. Les pharmaciens responsables des firmes ont été entendus, les autorités sanitaires également.

« Il est scientifiquement établi depuis de nombreuses années qu’il existe, à l’échelle collective, un risque global de développer une pathologie thrombo-embolique en cas de prise de pilule oestroprogestative », ont admis les magistrats du pôle santé. Mais au pénal, il faut raisonner à titre individuel. Et en l’espèce, rien ne permet de dire pour ces jeunes femmes que l’accident n’aurait pas eu lieu même si elles n’avaient pas pris la pilule.

Le parquet dédouane aussi les industriels. La loi les obligeait à mentionner le risque thrombo-embolique. Celui-ci figurait bien sur les notices. Mais aucun texte ne leur imposait d’évoquer l’existence d’un surrisque par rapport à la prise d’un autre médicament, en l’occurrence les pilules de deuxième génération.

« Il est un peu trop facile d’écarter la responsabilité des laboratoires au motif qu’une preuve scientifique absolue ne puisse être apportée, réagit Me Coubris. J’ai déjà vingt rapports d’experts qui confirment ce lien d’imputabilité entre la prise de la pilule et les séquelles des victimes en écartant toute autre cause. »

Par ailleurs, pourquoi les 3G et 4G sont-elles toujours en vente, alors que « l’agence du médicament dit très clairement qu’elles n’apportent aucun bénéfice ; et que le risque estimé est au moins du double par rapport aux 2G ? » L’instruction judiciaire aura peut-être le mérite de nous renseigner sur le monde opaque du médicament.