Epreuve de philosophie du bac 2017, à Paris. / MARTIN BUREAU / AFP

En ce mois de septembre où les élèves de terminale débutent les cours de philosophie, Le Monde Campus a proposé à Thomas Schauder, qui enseigne cette discipline, de répondre aux craintes et interrogations les plus répandues sur la « philo ».

Combien de fois ai-je entendu cette phrase : « Moi, la philo, je n’y comprends rien », prononcée par des élèves ou des adultes qui furent les élèves de quelqu’un d’autre ? Le problème ne semble pas concerner les notes (ils ne disent pas : « Je suis nul en philo »), mais l’essence même de cette discipline : il y aurait en elle quelque chose d’inaccessible à certaines personnes. Mais vous me direz : c’est le cas des maths, du français, de l’histoire-géo, et j’en passe ! Eh bien, non, il y a une vraie différence, quelque chose qui rend la philosophie unique parmi les disciplines scolaires : certains savent avant même d’en faire qu’ils n’y comprendront rien !

C’est que la philo a une réputation qui lui colle sacrément à la peau, et depuis très longtemps : « la philo, c’est dur. » Pas seulement dur au sens de la notation, mais dur en soi, dur pour tous et toutes, et malgré toute la bonne volonté des professeurs. Pourquoi une telle réputation ? Est-ce si vrai que cela ? Peut-on rendre la philo « moins dure » ? C’est à ces questions que je vais essayer de répondre, en partant des cinq phrases que j’entends le plus souvent prononcées par les élèves en terminale.

1. « Je ne comprends rien aux textes »

C’est bien évidemment ce qui passe en tête tout de suite quand on pense à la philosophie : un vocabulaire obscur, plein de transcendance, aperception, hypostase et autres mots barbares (alors que beaucoup sont, en réalité, grecs). Mais aussi des textes de vingt lignes avec seulement deux phrases, des tournures alambiquées, des références cachées… Bref : à croire les élèves, lire du Kant, c’est comme lire un traité d’alchimie médiéval, en moins marrant !

Il est vrai que la philosophie a son jargon, comme toutes les autres disciplines. Saviez-vous ce qu’était une hypoténuse, le PIB ou un alexandrin avant de l’avoir appris ? Les médecins ont leur langue, les garagistes ont la leur : le discours technique a son utilité, car il permet de désigner un objet ou une réalité avec un maximum de précision. Feriez-vous confiance, d’ailleurs, à un médecin qui vous dirait : « Vous avez un machin sur le truc. » Ou si votre garagiste diagnostiquait qu’il y a un genre de liquide qui coule du bitoniau à l’avant ? Moi, non !

Le problème, c’est que les élèves n’ont qu’une toute petite année pour enregistrer ce vocabulaire, alors même qu’il désigne des réalités qui semblent très éloignées du quotidien. C’est donc au professeur de faire en sorte de traduire ces termes du mieux qu’il peut. Sans oublier qu’on peut glaner des renseignements dans les dictionnaires ou sur Internet pour y voir plus clair. Partez du principe, chers philosophes en herbe, que ces réalités ne sont pas si éloignées de ce que vous pensez, mais j’y reviendrai. Quant à la longueur des phrases, elle vous apparaît parce que vous n’avez peut-être pas une pratique fréquente de la lecture… Pour cela, il n’y a pas grand-chose d’autre à faire que de vous forcer un petit peu…

2. « Ça ne me concerne pas »

Selon les élèves, la philosophie est compliquée parce que les philosophes s’intéressent à des sujets qui n’intéressent qu’eux et qui sont très éloignés de la vie réelle… Or, rien n’est plus faux !

Prenez un manuel de philo et lisez les titres des chapitres. On y parle de liberté, de bonheur, de politique, de science, de morale… uniquement des choses soit très intimes soit auxquelles on a constamment à faire. Ne me dites pas qu’à dix-sept ou dix-huit ans vous ne vous posez aucune question sur l’indépendance et sur les choix à faire pour vivre bien ! La vérité, c’est que les philosophes sont comme tout le monde, ou plutôt qu’ils sont restés des enfants qui demandent toujours : « Pourquoi ? » A la fin du XVIIe siècle, le philosophe allemand Leibniz disait que le plus important de tous les problèmes, c’est de savoir pourquoi est-ce qu’il y a quelque chose plutôt que rien… n’est-ce pas là une question d’enfant ?

Bien sûr, personne ne peut s’intéresser à tous les sujets. Mais le rôle de l’enseignement de la philosophie, c’est de montrer qu’il n’y a aucun domaine dans lequel aucune question ne se pose. Prenons un exemple : la politique. C’est bien souvent en terminale qu’on acquiert le droit de vote. Or, on part du principe qu’il est normal de voter, alors que ce n’est pas si évident : pourquoi la démocratie vaut-elle mieux que le despotisme ? Et est-ce que le droit de vote suffit à définir une démocratie ? Si le peuple vote et que les élus ne font pas ce pour quoi ils ont été élus, est-ce encore une démocratie ? Etc.

Les élèves doivent donc adopter la maxime suivante : « Ce n’est pas parce que je ne m’étais jamais posé cette question qu’elle n’est pas intéressante. » Ça s’appelle, tout simplement, la curiosité…

3. « C’est impossible d’avoir une bonne note »

Quand un élève manque de confiance en lui et qu’on lui affirme que, de toute façon, il ne pourra jamais obtenir une bonne note en philosophie, du moins au bac, il ne lui en faut souvent pas plus pour le décourager avant même d’avoir essayé. Or, ce préjugé est totalement faux, et il nous arrive, à nous les professeurs, de donner de très bonnes notes en philo, même au bac. Alors, pourquoi ce préjugé ?

C’est que les élèves sont souvent persuadés que, quand ils reçoivent une mauvaise note, c’est parce que le professeur n’était pas d’accord avec eux. Jargonnons un peu : la notation en philo serait subjective. Alors, certes, il n’y a pas de barème officiel. Mais, pour autant, les statistiques montrent que les fourchettes de notes entre plusieurs professeurs ne diffèrent pas vraiment des autres matières. Car s’il n’y a pas de barème, il y a quand même des critères, et aucun d’entre eux ne concerne le fond du propos, c’est-à-dire l’opinion de l’élève.

Comme pour toutes les disciplines scolaires, la philosophie possède une méthodologie qu’il faut acquérir en un an, et cette méthodologie n’est pas absurde : il s’agit d’être capable de faire se confronter des positions afin d’aboutir à une réponse satisfaisante à une question. N’oubliez pas que la philosophie est née dans des dialogues entre un certain Socrate et d’autres penseurs ou simples citoyens d’Athènes !

Un des problèmes est que le dialogue, comme le débat, est complètement absent des médias dans lesquels les élèves s’informent en priorité : la télévision et les réseaux sociaux. Il faut donc apprendre à « dialoguer avec soi-même », c’est-à-dire réfléchir…

4. « La philo, ça ne sert à rien »

Celui-là, c’est mon chouchou ! Et j’ai pris la mauvaise habitude d’y répondre toujours de la même façon : « C’est vrai, mais l’amour non plus ! »

Plus généralement, la philo ça sert… mais pas au sens utilitaire du terme. Si vous voulez gagner de l’argent grâce à la philosophie, c’est mal parti. Elle n’a pas d’utilité pratique, mais une utilité qu’on appelle existentielle : elle sert à mieux réfléchir, à mieux argumenter, à aborder les problèmes de manière plus rationnelle (plus « posée » si vous préférez) et plus sereine, à comprendre comment marchent l’homme et la société… Elle n’est pas non plus divertissante, et parfois on est amené à réfléchir à des sujets graves comme la mort, le sens de la vie, l’injustice… Mais là encore les élèves doivent faire l’effort de se dire qu’ils peuvent aborder ces problèmes dans un cadre serein plutôt que de devoir les gérer plus tard dans l’urgence et l’affolement. Donc, ceux qui trouvent cela « dur » sont ceux qui sont dans le déni de l’existence de ces problèmes. Or, ils y seront confrontés tôt ou tard, qu’ils le veuillent ou non, comme chacun de nous.

5. « Un an, c’est trop court »

Et quand j’entends cette phrase (généralement, c’est deux ou trois jours avant le bac…), je me dis que tout n’est pas perdu…

C’est vrai qu’un an c’est très court pour acquérir le vocabulaire, la méthodologie et les réflexes de pensée, plus le goût pour cette discipline. Et le principal problème est là. Donnons plus de temps aux élèves et à leurs professeurs, et vous verrez qu’ils trouveront la philosophie, si ce n’est moins dur, au moins faisable, voire appréciable…