Immeubles de logements, grue de chantier. Le nouveau quartier Presqu'ile GIANT. Projet Presqu'ile GIANT (Grenoble Innovation for Advanced New Technologies) / Francois HENRY/REA / Francois HENRY/REA

Attendue depuis des semaines, la « stratégie logement » du gouvernement est dévoilée mercredi 20 septembre par Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires, et son secrétaire d’Etat, Julien Denormandie. C’est un catalogue d’une trentaine de mesures, dont certaines réglementaires, d’autres encore au stade de pistes de réflexion, et dont l’essentiel demande un travail législatif pour s’intégrer dans la loi « logement et mobilité ». L’examen de celle-ci est repoussé en fin d’année, dans la loi « droit à l’erreur et simplification », actuellement bloquée par le Conseil d’Etat, et, bien sûr, dans la loi de finances.

Mieux utiliser le parc social

C’est une révolution du modèle français du logement social – qui ne figurait pas au programme du candidat Macron – à laquelle s’attaque le gouvernement. D’abord pour des raisons budgétaires : il faut faire baisser la facture de 18 milliards d’euros des allocations-logement. Après leur baisse généralisée de 5 euros par mois, qui prend effet au 1er octobre et sera pérennisée en 2018, pour une économie annuelle de 392 millions d’euros, le ministre annonce un effort de 1,4 milliard d’euros concentré sur le seul parc social qui, pourtant, ne capte que 45 % des aides. La mécanique est de demander d’abord aux bailleurs sociaux de baisser les loyers de leurs locataires touchant l’APL, soit 2,5 millions de ménages, d’une cinquantaine d’euros, ce qui réduira l’APL d’autant.

Cette proposition encore floue – quels loyers sont concernés ? La baisse est-elle générale, uniforme, maintenue même à un locataire que sa situation financière, meilleure l’année suivante, prive de toute APL ? – fait bondir le monde HLM. « C’est un coup de massue, dénonçait Alain Cacheux, président de la Fédération des offices publics de l’habitat, lors d’une conférence de presse, mardi 19 septembre. Il réduit de 70 % notre capacité d’investissement pour mener des réhabilitations ou construire, et fragilise 98 offices sur 255. Les compensations que propose le ministère sont, en outre, dérisoires et mensongères. »

Julien Denormandie a, en effet, évoqué le maintien à 0,75 %, pendant deux ans, du taux du Livret A, soit un cadeau d’à peine quelques dizaines de milliers d’euros, et l’allongement des prêts consentis aux bailleurs sociaux par la Caisse des dépôts, déjà pratiqué. Pour l’autre famille de HLM, les Entreprise sociales de l’habitat, « ce projet se traduirait par une perte de 4 milliards d’euros d’investissement et la menace sur 68 000 emplois directs et indirects ».

Le plan du gouvernement envisage encore, pour renflouer les finances des HLM, de vendre, par l’entremise d’une société spécialisée, 40 000 logements sociaux par an à leurs occupants (contre 8 000 à 10 000 aujourd’hui). « Soit nous vendons les “bijoux de famille”, c’est-à-dire les appartements les mieux situés, et nous perdons un actif précieux, y compris pour la mixité sociale, soit nous essayons de vendre les logements moins attractifs à leurs occupants plus modestes, et nous favorisons la création de copropriétés en difficulté comme cela s’est déjà vu, par exemple, au Chêne pointu, à Clichy-sous-Bois », analyse M. Cacheux.

Enfin, une gestion plus réactive des allocations-logement, calculées sur les ressources de l’année en cours plutôt que sur celles de deux années précédentes, promet des gains importants. Car 26 % des allocataires changent de situation professionnelle ou familiale chaque année, et ces évolutions ne sont prises en compte que tardivement, engendrant de nombreux indus et rappels, pour plus de 1,6 milliard d’euros. Cette nouvelle règle, de bon sens, est cependant compliquée à mettre en œuvre et ne pourra l’être qu’en 2019, en même temps que le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, qui oblige les employeurs à des déclarations nominatives.

Soutenir la construction

Promoteurs et constructeurs sont impatients de savoir si les deux dispositifs phares qui soutiennent leur activité, l’avantage fiscal Pinel pour les acquéreurs d’un logement neuf à louer et le prêt à taux zéro (PTZ) destiné aux primo-accédants – prévu pour s’éteindre au 31 décembre 2017 – seront prolongés. « Ils sont pérennisés pour quatre ans, jusqu’en 2022, pour donner de la lisibilité au secteur et recentrés sur les zones urbaines », détaille M. Mézard. Autrement dit, le Pinel et le PTZ seront, dès 2018, exclus des petites villes et du secteur rural. De quoi rassurer les professionnels, dont la moitié de la production est vendue à des investisseurs en Pinel, mais avec le risque, comme cela s’est vérifié dans le passé, de faire plonger la production de logements.

Loger les jeunes

C’était une promesse du candidat Macron de faciliter le logement des jeunes. Etudiants, apprentis, stagiaires, renoncent trop souvent à leurs formations, faute de logement. Pour tous les jeunes de moins de 30 ans, un « bail mobilité » d’une durée d’un à dix mois, pouvant convenir à une colocation, sans dépôt de garantie mais assorti d’une caution simple et gratuite appelée « Visale », délivrée par Action Logement (ex-1 % Logement), sera créé. La caution Visale existe déjà, mais n’a été délivrée, en 2016, que pour 8 000 contrats, ne consommant que 20 % des crédits prévus.

Pour empêcher que les bailleurs ajustent leurs loyers à l’allocation-logement que perçoivent leurs locataires étudiants, les annonces immobilières trompeuses ou qui feront état d’un loyer « APL déduite » seront poursuivies par la direction de la concurrence et de la consommation, promet le ministre.

Le gouvernement entend aussi développer l’habitat intergénérationnel en exonérant d’impôt sur le revenu les loyers perçus par un propriétaire qui loue ou sous-loue une pièce de son logement à un jeune. La mesure fiscale existe déjà, à condition que le loyer réclamé soit « raisonnable ». Reste à la populariser.

Enfin, 80 000 logements pour les jeunes seront construits au cours du quinquennat, dont 60 000 pour les étudiants, soit 50 % de plus que sous le quinquennat précédent.

Le choc d’offre

Ce thème cher à Emmanuel Macron se concrétise, en matière foncière, par une mesure fiscale exonérant d’impôt sur la plus-value le propriétaire d’un terrain en zone tendue qui le met en vente dans les trois ans, à compter du 1er janvier 2018. Dans l’ancien système, dégressif, il aurait attendu vingt-deux ans après l’achat pour aboutir à cette exonération. Et, puisque chaque année, 6 000 recours contre des permis de construire bloquent des chantiers pendant au moins deux ans, sanctionner les recours abusifs devient une priorité. Enfin, l’Etat recourra à des partenariats avec les communes pour lancer de grandes opérations immobilières. Peu de précisions pratiques sont cependant apportées sur ces derniers points.

Baisse des APL : un front de contestation inédit

Le projet du gouvernement de réduire les aides au logement fédère une opposition inédite contre lui. Un appel « Vive l’APL », lancé par 42 associations de locataires (Consommation Logement Cadre de Vie, Confédération générale du logement, Droit au logement…), caritatives (Secours catholique, Fondation Abbé Pierre, Emmaüs, Armée du salut…), d’étudiants (UNEF, FAGE), l’Union sociale pour l’habitat, qui fédère les bailleurs HLM, des syndicats de salariés (FSU, CFDT, CGT), exhorte le gouvernement à renoncer à ses projets de réduction des aides au logement et à renforcer l’encadrement des loyers du secteur privé. Ils iront manifester à l’occasion du Conseil national de l’habitat, jeudi 21 septembre, à la Défense.

Quelques élus, aussi, commencent à réaliser les conséquences pour leur territoire : « Si les bailleurs sociaux baissent les loyers, ils auront de moins bons résultats et donc leurs capacités d’investissement vont diminuer », a, par exemple, réagi Alain Juppé, maire de Bordeaux, qui mène une politique très volontariste de construction, au cours de sa conférence de rentrée, le 19 septembre. « Notre organisme Seine-Saint-Denis Habitat ne va pas pouvoir financer le programme de rénovation urbaine sur lequel nous travaillons depuis des années avec les élus », déplore, de son côté, Yves Nédélec, son directeur général.