Le piège se referme sur Marine Le Pen. « J’ai demandé à Florian [Philippot] de choisir entre ses deux responsabilités, (…) et s’il n’accepte pas de le faire, je choisirai pour lui. » A la première heure, mercredi 20 septembre, sur CNews, la présidente du Front national a réitéré l’ultimatum qu’elle pose depuis une semaine à son numéro 2, pour qu’il quitte la présidence de son association Les Patriotes.

A 19 h 30, ce dernier sera sur la même chaîne pour lui répondre une nouvelle fois, après avoir répété tout au long de la semaine sa fin de non-recevoir, s’émouvant qu’on lui mette un « pistolet sur la tempe » et grondant son incompréhension à grand renfort d’invitations à la radio et à la télévision.

« C’est pourtant simple, on demande au chargé de la com’ du FN d’arrêter de dire lespatriotes.fr à chaque fois qu’il parle », résume un cadre du parti, pour qui le « conflit d’intérêts » entre les deux mouvements est évident. Que le vice-président chargé de la stratégie et de la communication du FN fasse sur tous les plateaux la promotion de son association, perçue en sus comme un instrument de promotion personnelle, agace. Qu’il « s’obstine » depuis des jours en refusant d’en lâcher la présidence, encore davantage. Au point de pousser certains, comme le trésorier du FN, Wallerand de Saint Just, à poser publiquement la question – pleine de sous-entendus – des raisons d’un tel entêtement :

« Soit il cherche à se victimiser, soit il veut créer la rupture », soupçonne un membre du bureau politique. Quelle solution reste-t-il donc à Marine Le Pen ? Prise en tenailles entre le risque de décevoir ceux qui réclament la plus grande fermeté contre M. Philippot et celui de pousser vers la sortie un vice-président qui se place lui-même proche de la rupture, l’ex-candidate à la présidentielle va devoir trancher. Et « rapidement », comme elle l’intimait elle-même à Florian Philippot, mercredi matin.

Seulement, malgré la défiance assumée de son désormais ex-bras droit, Mme Le Pen préférerait ne pas avoir à se priver de ses services. Le départ forcé d’une tête d’affiche du parti s’ajouterait à la liste des coups durs accumulés par un FN encore sonné par son score à la présidentielle, puis aux législatives. Et parce que M. Philippot est devenu, de fait, le représentant de l’aile sociale-souverainiste du parti, une des deux jambes frontistes, avec celle de l’identité.

« On ne va pas s’inoculer le poison »

Bien que brouillé avec sa fille, Jean-Marie Le Pen reste le plus à même de comprendre le dilemme dans lequel est plongée Marine Le Pen. Le patriarche sait mieux que personne la précarité des équilibres internes de sa formation, lui qui les a maintenus tant bien que mal pendant quarante ans. Sur RTL, mardi, il assurait ainsi, et malgré sa rancœur personnelle contre l’énarque, ne pas vouloir « l’écarter » : « Moi, je suis pour un grand rassemblement où M. Philippot aurait sa place et seulement sa place. » Malheureusement pour sa fille, ils ne sont plus très nombreux au FN à plaider en faveur de cette paix des ménages.

Il y a bien David Rachline, maire frontiste de Fréjus (Var), qui appele « Florian » à prendre exemple sur « Louis » [Aliot]. Mercredi matin, le député des Pyrénées-Orientales et compagnon de Marine Le Pen a en effet abandonné la présidence de son think tank Club idées & nation, un argument que M. Philippot brandissait pour justifier sa propre présence à la tête des Patriotes. Pour le reste, les cadres du FN ne se bousculent pas pour apaiser la situation que le numéro 2 continue d’alimenter.

« Marine veut évidemment l’unité du parti. Ce qu’il faut, c’est qu’elle fasse preuve d’un leadership non pas à coups de hache mais à gant de velours, estime Jean Messiha, membre du bureau politique élargi du FN. Ce qui est en gestation ce n’est pas d’exclure les uns ou les autres, mais de reconnaître les différences de sensibilité et de remettre chacun à sa place en tant que représentants de ces sensibilités, sous le leadership de Marine. »

Seul problème, cette hypothèse reviendrait à acter de l’existence de courants au sein du FN, une demande de plus en plus forte en interne, quelles que soient les sensibilités. Mais de cela, Marine Le Pen ne veut pas entendre parler. « Non, on ne va pas s’inoculer le poison qui a tué le PS et l’UMP, assurait Mme Le Pen au Monde il y a quelques semaines. Au Front, il y a une ligne, elle est déterminée par le vote du congrès. »

« Vous ne m’avez jamais accepté »

Les antagonismes personnels et politiques, qui ont bouilli pendant cinq ans sous le couvercle de la Cocotte-Minute frontiste et explosent aujourd’hui, semblent de toute façon trop forts pour que la cohabitation soit encore possible. « Vous ne m’avez jamais accepté », a lâché tristement M. Philippot, lundi, lors d’une réunion du bureau politique. Soupirs exaspérés de l’ex-UMP Jérôme Rivière considérant que, lui, a « oublié que la politique était un jeu collectif ». D’aucuns notent une ambiance résignée en interne, où le divorce ne semble plus attendre que deux signatures. « Est-ce que Marine a le choix ? Elle doit donner la tête de celui qui l’a conseillée, sinon les militants s’en prendront à elle », juge un patron de fédération.

Un manque de fermeté également souligné chez les Philippotistes. « Quand on n’est pas assez courageux pour tirer, on demande à l’autre de se suicider. Ce ne serait pas la première fois qu’elle n’arrive pas à prendre une décision », tance un proche du député européen, qui prévient : « Florian n’a pas de problèmes quand il s’agit de prendre une décision claire. »

Jérôme Rivière, lui, sourit de cette perspective : « Il ne partira jamais. Comment il se ferait élire député européen sans le parti ? » Beaucoup s’accordent sur le fait qu’un tel départ serait perdant-perdant. Car en agitant ce spectre, M. Philippot appuie aussi sur le risque d’un « rabougrissement » du parti sur son aile la plus radicale, alors que lui représente un des symboles de la stratégie de dédiabolisation du FN. « On préfère se recroqueviller sur le petit matelas électoral, et du coup, celui qui nous tirait vers le haut, on n’en a plus besoin, on s’en débarrasse », souligne à dessein sa principale lieutenant, Sophie Montel.

Fusible Philippot

Une escalade des menaces scrutée minute par minute dans l’entourage de Marine Le Pen, où l’on ne voudrait pas se faire dépasser par l’aile extrême droitière du FN. Un proche de la présidente du FN révèle ainsi surveiller du coin de l’œil les « identitaires et leurs relais internes dissimulés ou avérés », à commencer par le secrétaire général du parti, Nicolas Bay. « C’est Marion [Maréchal-Le Pen] qui a initié et facilité le processus », note ce même dirigeant.

Côté Philippotistes, l’hémorragie commence. Maxime Thiébaut, vice-président des Patriotes, a lancé les premiers signes dans Le Journal de Saône-et-Loire, affirmant que « si ça continue comme ça, (s)a démission viendra plus vite que prévu. » Un autre confie qu’il n’aura « aucun regret » à ne plus être frontiste si « Florian » venait à partir ou à être « éjecté », estimant que cela « démontrerait l’immaturité politique du parti ». Avant de tourner les talons complètement, il aimerait tout de même avertir Marine Le Pen qu’« à ce rythme, elle sera la cible suivante ». Selon lui, sans le fusible Philippot et avec les espoirs de certains de voir revenir Marion Maréchal-Le Pen, « ce sera une autre paire de manche » pour la patronne.

D’autant que le principe d’un congrès qui serait organisé en 2021, soit à un an de la prochaine élection présidentielle, a été confirmé, lundi, en bureau politique. Ce qui, dans l’esprit de certains, représenterait une rampe de lancement idéal pour un retour de la nièce.