Le pianiste Eric Legnini. / JEAN-BAPTISTE MILLOT

Cinq raisons de courir au Duc des Lombards à Paris : la personnalité d’Eric Legnini, pianiste au spectre large ; la qualité artistique de son quintet, très photogénique, et une fois n’est pas coutume dans le jazz européen, pas habillé comme l’as de pique (Jon Boutellier, ténor sax, Malo Mazurié, trompette, Thomas Bramerie, contrebasse, Ali Jackson, drums) ; une célébration très justifiée de Leslie, dit Les, McCann, pianiste et compositeur à succès dans les années 1960, pris à l’époque avec des pincettes par les tristes sires du jazz – les puristes, c’est autre chose : le plus souvent leur névrose est d’assez bonne indication –, il connaît ce soir une nouvelle popularité.

Et la cinquième ? Une idéale occasion d’aller en bande dans un lieu chic, d’écouter dans d’excellentes conditions, de découvrir ce qu’est la musique quand on la sert avec conscience ; une occasion enfin de neutraliser tous les préjugés qui empoissent le « jazz ». Dieu sait pourtant si… Pour les joyeux sires.fr que ce genre d’info émoustille mille fois plus que le théorème de Thalès, ceci : sveltesse d’éternel jeune homme et pivot sans défaillance du groupe, Thomas Bramerie, contrebasse, a 52 ans et c’est lui le doyen du quintet.

Un « groove monstrueux »

Commençons par Les McCann. Né en 1935 à Lexington (Kentucky), il fait le genre de « sans faute » formidablement clivant : premier étage de la gloire dans l’historique Ed Sullivan Show ; succès mondiaux taxés de variété (aujourd’hui très prisés par TSF, la « radio 100 % jazz ») ; parcours à contre-sens pendant les années « free » ; star lucrative des labels Pacific, puis Atlantic ; et, comme pour achever de brouiller les pistes, pionnier des synthétiseurs et des courants disco–funk.

Son répertoire, notamment la période entre jazz de haut vol et rôle de chanteur populaire, mérite l’attention d’un Eric Legnini, capable de réactiver les fondamentaux qui – il n’y a pas de fumisterie sans feu – contribuèrent au succès de Les McCann : un « groove monstrueux », en patois de musicien, un formidable entrain, et quelque chose de simple, très facile à jouer mal. Très difficile, en revanche à saisir avec l’ardeur et la science des deux soufflants, Jon Boutellier, ténor sax en pleine ascension, et Malo Mazurié, trompettiste prodige, tous deux en phase de décollage d’une élégante trentaine.

Phrasé et syntaxe uniques

La force de Legnini, c’est son phrasé et sa syntaxe, uniques aujourd’hui, plus proches de Phineas Newborn que des mange-notes et autres tricoteurs de claviers. Sa force aussi, ce sont les arrangements écrits pour le quintet, toujours dans l’esprit, apportant une touche « hard-bop » à la puissance de feu « soul ». Solos pris, les soufflants ont l’élégance de se mettre en flexion de genoux (les veinards ! ils font ça comme qui rigole), pour laisser apparaître la rythmique. Personne n’y songe, aujourd’hui, or c’est essentiel en club. Au cœur du dispositif, Ali Mohammed Jackson, 41 ans, drummer des plus grands de ses contemporains, batteur attitré du Jazz at Lincoln Center, précis, aussi juste dans ses interventions que joyeux dans le recours « vintage » au fameux tambourin des années 1960.

Car il y a dans le Tribute to Les McCann de Legnini en quintet, une joie de jouer délivrée de toute nostalgie, une légère distance impeccablement réglée, et des interventions décomplexées des soufflants (Boutellier et Mazurié), aussi peu soumises aux leçons des grands anciens qu’aux tentatives anxieuses (on les comprend) de ceux qui ont pris la voie de la quatrième génération « free ». Curieux qu’un usage si franc de la liberté d’être vienne d’un quintet aux airs formatés ? Pas tant que ça, mais il faudrait reprendre la carrière et les étapes de Legnini des origines à nos jours. On comprendrait tout.

« Tribute to Les McCann », avec Eric Legnini, Ali Jackson, Jon Boutellier, Malo Mazurié et Thomas Bramerie. Duc des Lombards, 42, rue des Lombards, Paris 1er. Tél. : 01-42-33-22-88. Les 22 et 23 septembre à 19 h 30 et 21 h 30. www.ducdeslombards.com