Le stand Google au Congrès mondial du mobile, le 28 février 2017, à Barcelone. / LLUIS GENE / AFP

Editorial du « Monde ». Le vent a tourné pour les géants américains de l’Internet. Génies de technologies révolutionnaires, champions de la démocratisation, de l’innovation, hérauts d’un capitalisme mondialisé triomphant, ils ont mis, depuis la fin du XXe siècle, le high-tech au service de milliards de consommateurs et connecté la planète tout entière.

La technologie de masse est habilement utilisée par les régimes autoritaires et les organisations extrémistes.

C’est le côté lumière de ces formidables entreprises auxquelles on a donné, en Europe, le surnom de GAFA, initiales des plus emblématiques d’entre elles, Google, Apple, Facebook, Amazon. Le côté ombre des GAFA, cependant, préoccupe de plus en plus.

L’Union européenne cherche la parade à leur puissance écrasante, qui étouffe la concurrence. Les consommateurs, qui sont aussi des citoyens, découvrent avec une inquiétude croissante que leurs données personnelles, vendues et revendues, ne leur appartiennent pas. Et, surtout, la technologie de masse s’est révélée être une arme à double tranchant, habilement utilisée par les régimes autoritaires et, pire, les organisations terroristes.

C’est sur ce dernier point que plusieurs gouvernements européens, dont celui de la France, viennent de lancer une offensive, afin d’obtenir des GAFA qu’ils luttent sérieusement contre la diffusion de contenus terroristes sur la Toile.

A New York, mercredi 20 septembre, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, la première ministre britannique, Theresa May, le président Emmanuel Macron et le premier ministre italien, Paolo Gentiloni, ont mis les représentants des GAFA au pied du mur, avec ce message : ou bien vous trouvez vous-mêmes le moyen d’empêcher les terroristes d’utiliser vos réseaux, ou bien nous vous forcerons à le faire.

La responsabilité sociale des GAFA doit aller de pair avec leur puissance économique et culturelle.

Ils ont raison. Il n’est pas acceptable que les Etats visés ces dernières années par les campagnes d’attentats des organisations islamistes dépensent des milliards de fonds publics pour protéger leurs citoyens, alors que des entreprises privées richissimes – et qui exploitent avec virtuosité toutes les occasions d’optimisation fiscale en Europe – offrent la possibilité aux terroristes de diffuser leur propagande dans ces pays et servent de véhicule à leur stratégie de radicalisation meurtrière.

Les géants du high-tech commencent à réaliser que la responsabilité sociale doit aller de pair avec leur puissance économique et culturelle. Ils ont, en juin, créé un « forum global de l’Internet pour contrer le terrorisme ». Mais ils doivent aller plus loin et se montrer plus volontaristes.

Le niveau des représentants qu’ils ont délégués à New York pour rencontrer des chefs d’Etat et de gouvernement – non pas leurs PDG, mais le directeur juridique d’Alphabet, la compagnie mère de Google, Kent Walker, qui s’est exprimé au nom des autres sociétés – montre qu’ils n’ont pas encore pris la mesure de leurs obligations.

Un défi scientifique et technologique

Le terrorisme est un défi que toutes les forces des sociétés démocratiques doivent relever ensemble, et les GAFA en sont une composante cruciale. M. Walker a fait valoir que le retrait, ou l’interdiction, de contenus terroristes en ligne « posait un énorme défi scientifique et technologique ». Peut-être.

Mais il ne fera croire à personne qu’une entreprise comme Google, qui investit massivement dans l’intelligence artificielle, est incapable de relever ce défi. Twitter, par exemple, a supprimé 300 000 comptes terroristes dans les six premiers mois de l’année, en grande partie décelés grâce à des algorithmes. C’est donc possible. Les GAFA peuvent mieux faire.