Le restaurant universitaire Descartes, à Lyon. / Eric Nunès - Le Monde

« Moi, végétarienne ? Sûrement pas ! » Clémence s’étranglerait presque. Quelle idée ! « J’aime bien trop la viande », se défend l’étudiante. Une « carnassière » donc, rencontrée dans le resto U du campus Descartes de Lyon-III, accompagnée de ses deux copines de classe prépa biologie, Alice et… Alice. Sur leurs trois plateaux-repas, pourtant, des crudités, du pain, une salade verte, des lasagnes aux légumes et du raisin. Ni viande ni poisson, les trois jeunes filles ont, sans y penser, constitué un menu végétarien. Nombreux sont les Crous (conseils régionaux des œuvres universitaires et scolaires) à proposer aujourd’hui ce type de repas. Un moyen de sensibiliser une partie de la jeunesse à une autre manière de se nourrir et de consommer et de permettre à ceux qui sont déjà adeptes de trouver au restaurant universitaire un repas sur mesure.

Comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nos trois commensales mangeaient, ce jour-là, végétarien sans le vouloir. Qu’il y ait des protéines animales dans leur assiette ou pas, les apprenties biologistes s’en moquent. La raison essentielle qui leur fait tendre la main vers une cassolette de légumes plutôt qu’en direction d’un saucisse-frites, c’est le goût. « Nous choisissons souvent ces plats parce qu’ils sont les meilleurs », justifient Alice et Alice. Un bon point accordé au cuisinier, Thierry Philippe qui, depuis deux ans, s’est initié à une cuisine végétarienne pour être en mesure de proposer, chaque jour, « du bon et du beau ». Que les produits soient d’origine animale ou pas.

« Impact carbone » et « poids écologique »

Les 450 points de restauration universitaires à travers la France seront, d’ici à la fin de l’année, en mesure de proposer des repas végétariens, assure le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous), chargé de la restauration étudiante. Une montée en puissance de l’offre végétarienne qu’Anne Baume, directrice de la restauration sur les campus de Lyon, situe en 2014 : « Nous répondons à une demande d’étudiants de plus en plus sensibles à la notion de développement durable. Ils sont nombreux à exprimer le souhait de manger différemment et notamment moins de viande », assure-t-elle. Aymeric Hergott, étudiant, élu au Crous de Lyon et membre de Gaelis, groupement des associations et élus étudiants lyonnais, abonde : « Nous calculons notre impact carbone et nos choix d’alimentation ont un poids écologique. »

Selon une étude sur la restauration universitaire réalisée par le Cnous en 2016, 10 % des usagers des restos U se disent végétariens (une alimentation sans viande ni poisson), végétaliens ou vegans (une alimentation sans produit d’origine animale, excluant le lait, la crème, les œufs…). C’est en 2015 que le Crous de Lyon a commencé à mobiliser ses cuisiniers et à consulter des diététiciens pour imaginer puis élaborer des repas végétariens et équilibrés. « Nous nous sommes accordés une année d’expérimentation culinaire, afin d’élaborer des repas végétariens dotés d’une qualité gustative et équilibrés sur le plan diététique », expose Anne Baume.

« Ce fut une révolution dans nos cuisines, alors que l’apprentissage a façonné notre savoir-faire autour d’une denrée centrale : la viande ou le poisson »

Le challenge n’est pas mince. Le changement dans les assiettes des étudiants a commencé par la sensibilisation des professionnels aux principes de la diététique et aux subtilités techniques d’une restauration sans protéine animale. « Il a fallu former les chefs cuisiniers des 15 Crous lyonnais puis de leurs seconds, raconte Céline LePrince, diététicienne. Il est impératif dans la conception de chaque repas de calculer la juste association de légumes secs et de féculents, afin de permettre au corps de synthétiser les protéines nécessaires à apporter aux muscles. Un changement de paradigme qui s’est fait sans coût supplémentaire, souligne Anne Baume.

« Ce fut une révolution dans nos cuisines, reconnaît Thierry Philippe, alors que l’apprentissage a façonné notre savoir-faire autour d’une denrée centrale : la viande ou le poisson. » Il a fallu beaucoup revoir, inventer une cuisine à l’échelle de 700 à 900 repas par jour, rend compte le chef avant de distribuer, en guise d’amuse-bouches des verrines de son velouté de lentilles corail, crème coco, curcuma, gingembre et coriandre, dont il ne restera pas une goutte.

Le restaurant universitaire Descartes à Lyon. / Eric Nunès - Le Monde

Depuis le 19 septembre, le Crous de Lyon organise, dans ses points de restauration, une campagne de sensibilisation auprès de ses étudiants sur l’offre de repas végétarien qu’il déploie. Aujourd’hui, 13 % des repas commandés par les étudiants des Crous lyonnais sont végétariens. « Nous sommes de plus en plus sensibilisés à l’importance d’un équilibre alimentaire et des conséquences sur notre santé », approuve Ouissam, étudiant en master de physique, entre deux bouchées de frites.

« Un réel effort culinaire »

Dans la plupart des restaurants universitaires de France, étudiants omnivores et végétariens partagent donc les mêmes tables. A Rennes, les végétaliens également saluent les efforts du Crous pour réaliser des menus adaptés à leurs restrictions alimentaires, (c’est-à-dire sans aucun produit d’origine animale). « Nous sommes pour l’abolition totale des produits d’origine animale », rappelle Lucile Christien, vice-présidente de l’association Sentience Rennes (pour le respect de la vie animale), en master de communication sociale. Le Crous de la capitale bretonne « a développé, depuis un an, un meilleur étiquetage des produits avec les ingrédients, les allergènes. Il a créé des recettes végétaliennes élaborées avec un réel effort culinaire », salue la jeune femme.

Une harmonie entre mangeurs de viande, de légumes et de soja qu’on ne retrouve pas à Lyon. « Ici, l’offre végétarienne est insuffisante pour répondre à nos demandes. Les produits d’origine animale ne sont pas nécessaires à l’équilibre alimentaire et provoquent la souffrance de milliers d’individus », pointe Adrian Debord, coprésident de Sentience Lyon, étudiant en master 2 de sociologie. Du côté du Crous, on rappelle que la mission du restaurant universitaire est d’apporter une offre « équilibrée et sans carence », précise Céline Leprince. Avec un apport en protéines animales entend la diététicienne.

« En tenant cette ligne, le restaurant universitaire nous exclut », accuse Adrian Debord. Les végans lyonnais restent donc à la porte du resto U. « Notre objectif, c’est de permettre aux étudiants de manger équilibré et de demeurer en bonne santé », insiste Anne Baume.

Mais la montée en puissance des adeptes d’une alimentation végane est inéluctable, croit savoir le militant. « Les contraintes écologiques et les questions éthiques conduiront la société à une transformation des usages », affirme-t-il, tandis que devant le stand grillades du restau U, la queue atteint déjà plusieurs mètres.