Manifestation à Nantes jeudi 21 septembre contre la réforme du code du travail. / STEPHANE MAHE / REUTERS

Journaliste au service politique du Monde chargée des questions d’emploi, Sarah Belouezzane a répondu aux questions des internautes sur les enjeux de la réforme et de la mobilisation sociale.

Elo974 : Est-ce que le fait que ces ordonnances soient validées par le président aujourd’hui implique qu’elles soient applicables à partir de ce lundi ou faudra-t-il attendre la validation d’octobre pour mise en application ?

Sarah Belouezzane : Les ordonnances devaient être signées aujourd’hui, vendredi, à 12 h 45 par le président de la République, mais il faudra attendre qu’elles paraissent au Journal officiel pour être applicables. Cela devrait intervenir vers le 26 septembre. Elles seront ensuite confirmées par une loi de ratification, qui sera examinée par le Parlement dans les semaines voire les mois à venir. Si celle-ci n’est pas votée (ce qui est peu probable), elles ne seront plus valides mais auront été appliquées pendant quelques mois tout de même.

Jean-Baptiste : Les syndicats réformistes seraient-ils susceptibles de rejoindre le mouvement si les décrets d’application ne leur convenaient pas ?

Pour l’instant, la CFDT et FO n’ont pas souhaité défiler, estimant qu’il valait mieux peser lors des concertations. Cependant, les deux centrales ont précisé, à plusieurs reprises, qu’elles n’excluaient rien. Un appel à la manifestation demeure pour le moment peu probable.

JND : L’assouplissement des motifs de licenciement économique, calculé à l’échelle nationale et non plus à l’échelle de l’entreprise, ne risque-t-il pas se transformer en une incitation à la délocalisation ? En effet, au sein d’une même entreprise, n’est-il pas facile de manipuler la rentabilité d’une partie de l’entreprise en jouant sur la répartition de la valeur ajoutée entre les différentes entités de l’entreprise ?

Le gouvernement a prévu des garde-fous, afin de vérifier que les comptes d’un groupe ne soient pas manipulés pour faciliter un licenciement. Mais il est difficile de savoir si cela aura vraiment un effet et si les grands groupes ne vont pas en profiter.

Pour le gouvernement, cette mesure a aussi pour but d’attirer des groupes internationaux en France, auparavant effrayés à l’idée de ne pouvoir licencier s’ils ont un souci. Mais rien n’indique que cela marchera.

Nlb : Ce type de flexibilisation du marché du travail va-t-il dans le sens de ce qui se fait actuellement dans les pays du nord de l’Europe ? Ou manque-t-il un volet sécurité ?

Les pays du Nord ont en effet un modèle de flexisécurité qui peut se rapprocher de la refonte du droit du travail en cours pour le premier volet. Cependant beaucoup regrettent l’absence de la sécurité dans ces ordonnances. Le gouvernement répond qu’il faut voir ses réformes dans leur ensemble, la sécurité se trouvant dans la révision de l’assurance chômage et de la formation professionnelle. Mais certains observateurs en doutent. En témoigne cette interview de Pierre Ferracci réalisée par Le Monde : « Il y a un déséquilibre en faveur de la flexibilité »

Antoine : La démission qui ouvre droit au chômage est-elle dans les ordonnances ?

L’assurance chômage étendue aux personnes qui ont démissionné n’est pas contenue dans les ordonnances. Elle le sera dans la grande réforme de l’assurance chômage prévue pour le printemps/été 2018. Pour introduire une telle modification, il faut une loi spécifique car les conditions d’attribution de l’assurance chômage dépendent d’une convention signée par les partenaires sociaux tous les deux ans.

JYB : Sommes-nous à l’aube d’une refondation de notre modèle social ?

C’est difficile à dire. Beaucoup de choses sont en effet modifiées par la présente réforme. Sans compter celles à venir, sur l’apprentissage, la formation professionnelle et l’assurance chômage. Ainsi que la modification de l’impôt de solidarité sur la fortune et la future disparition de la taxe d’habitation pour 80 % des Français. Pour autant, la couverture sociale telle qu’elle existe depuis des décennies ne change pas. Tout dépendra du résultat de ces changements et de l’empreinte qu’ils auront sur l’économie du pays.

Oymar : Dans un des articles publiés aujourd’hui, il est dit que cette réforme aurait pour but de pousser les patrons à embaucher en CDI. Or l’élargissement d’utilisation des CDI-Contrat de chantier (qui sont des CDD bis) et la possible augmentation de durée/renouvellement des CDD ne vont-ils pas pousser à embaucher avec ces deux contrats plutôt qu’avec des CDI ?

Le pari du gouvernement est en effet celui-là. Réduire le risque d’une potentielle séparation pourrait, selon eux, faire moins peur aux patrons qui pourraient alors embaucher en CDI. Mais les chercheurs le disent, la disponibilité d’autres contrats réduit cette probabilité. Il faudra juger au bout dans quelques mois, voire années.

Barka : Peut-on aujourd’hui considérer comme morte la notion de CDI ?

Non, pas du tout. Le CDI n’a en rien été modifié, la réforme n’y touche pas. Licencier comporte cependant moins de risques avec par exemple le plafonnement des indemnités prud’homales.

Axel : On sait que les ordonnances ont pour but de relancer l’embauche et faire baisser le chômage. On sait également que ça ne se fait pas en une semaine. Quand peut-on s’attendre à voir les effets (négatifs ou positifs) de ces réformes sur le marché du travail ?

Il faudra probablement attendre plusieurs années pour en voir les effets. En attendant, la reprise économique, indépendamment de la réforme, permet à certains chercheurs de pronostiquer une baisse continue du chômage jusqu’en 2020.