Hervé de La Martinière, le PDG du groupe La Martinière, à Paris, en 2009. / FRED DUFOUR/AFP

Depuis des mois, Hervé de La Martinière, le PDG du groupe La Martinière (qui détient Le Seuil, mais aussi l’éditeur américain Abrams ou les Editions de La Martinière) cherchait à passer la main. A 70 ans, pour sécuriser l’avenir de la maison qu’il a fondée voici vingt-cinq ans, il a trouvé la solution. « Ce ne sera pas une vente. Nous étudions la possibilité d’un rapprochement avec Media Participations (Fleurus, Dargaud, Dupuis, Rustica, Lombard…) dans le cadre d’un échange d’actions », a-t-il indiqué, jeudi 21 septembre, dans la foulée d’un comité d’entreprise de La Martinière. Des négociations exclusives sont entamées afin d’aboutir à une fusion dans les prochains mois.

Société belge depuis trente et un ans, Media Participations deviendrait majoritaire au capital du nouvel ensemble, constitué par les actionnaires de chacune des entités. Soit, pour le holding de Largo Winch et de Lucky Luke, plusieurs familles belges, Axa et Bpifrance. Et, pour La Martinière, le fonds Mousse, présidé par Charles Heilbronn (où ont investi Alain et Gérard Wertheimer, les propriétaires de Chanel) aujourd’hui détenteur de 80 % du groupe d’édition. Tous ces actionnaires devraient rester. La présidence reviendrait à Vincent Montagne, PDG de Media Participations, et la vice-présidence à Hervé de La Martinière.

Si cette fusion est menée à bien, cette opération bouleversera le panorama de l’édition française. Aux 355 millions d’euros de chiffre d’affaires, en 2016, de Média Participations (cinquième éditeur en France) s’ajouteront mathématiquement les 206 millions du groupe La Martinière (numéro sept, selon le classement de Livres Hebdo). De quoi dépasser sans difficulté Madrigall (Gallimard), qui affiche 483 millions d’euros de chiffre d’affaires, et se positionner clairement en numéro trois du secteur, après le leader Hachette Livre et son challenger Editis. « Ce n’est pas une course en sac », affirme Vincent Montagne. L’essentiel provient, selon les deux PDG, « de la complémentarité » de leurs groupes.

Se développer à l’international

Le belge est très présent dans la presse magazine, la production audiovisuelle et notamment les dessins animés, mais aussi dans le jeu vidéo, la bande dessinée, les ouvrages destinés à la jeunesse et les livres pratiques. Media Participations a investi pour la première fois dans la littérature générale, en prenant le contrôle, en juin, d’Anne Carrière Editions.

De son côté, La Martinière apporte l’aura du Seuil et de ses nombreux romanciers de la collection « Cadre rouge » (Patrick Grainville, Elie Wiesel, Erik Orsenna, Tahar Ben Jelloun ou Lydie Salvayre, qui, avec Pas pleurer, a permis au Seuil de remporter le Goncourt en 2014). Sans compter la belle collection « Fiction & Cie » ou les maisons d’édition aussi variées que Le Serpent à Plumes, L’Olivier ou DonQuichotte… « Notre volonté est clairement de préserver l’identité éditoriale de chaque maison, affirme M. Montagne, également président du Syndicat national de l’édition. C’est là la prunelle de nos yeux. »

Une vision partagée par ces deux groupes familiaux. Leur intérêt se situe dans leur volonté de poursuivre leurs développements à l’international. Hervé de La Martinière possède une avance dans ce domaine puisque 55 % de son chiffre d’affaires est réalisé hors de France. « J’ai racheté Abrams en 1997, qui réalisait alors 30 millions de dollars [l’équivalent de 23,8 millions d’euros à l’époque] de chiffre d’affaires grâce aux beaux livres d’art. Faute de marché, cette entreprise s’est reposititionnée et concentrée sur la jeunesse. Ce qui lui a réussi puisqu’elle a quadruplé son volume d’affaires », explique M. de La Martinière.

Recomposition du paysage

Une explosion due, pour une bonne part, au succès vertigineux du Journal d’un dégonflé, de Jeff Kinney, livre de chevet des préadolescents, vendu à plus de 160 millions d’exemplaires dans le monde… Si Abrams représente la moitié de l’activité du groupe, ses filiales en Allemagne et en Suisse sont beaucoup plus modestes.

Pour sa part, Media Participations, qui réalise 12 % à 15 % de son activité hors de France et de Belgique, mise aussi fortement sur la complémentarité entre la littérature et le cinéma. Rodé, sans doute, en raison des 250 épisodes des dessins animés du chat Garfield vendus sur les cinq continents. Inversement, grâce au dernier film de Luc Besson, Media Participations a vendu 200 000 albums de Valérian, cette année, soit 80 fois plus qu’habituellement.

Dans cette recomposition du paysage de l’édition, le groupe Editis n’aura donc qu’une partie du Groupe La Matinière. En 2015, la filiale de Planeta avait racheté la filiale de distribution et de diffusion Volumen pour l’intégrer à la sienne, Interforum. La greffe a pris, mais le rapprochement entre Editis et Le Seuil s’est arrêté là.