Si le Kurdistan irakien comprend les trois provinces de Dohouk, Erbil et Souleymanieh, dans les faits les zones d’influence de l’UPK et du PDK s’étendent au-delà : province du Sinjar (dans le nord-ouest), une partie de la plaine de Ninive (entre Mossoul et Erbil) et une partie de la province de Kirkouk (au sud-est d’Erbil). / Infographie Le Monde

Le gouvernement régional du Kurdistan irakien (GRK) a prévu d’organiser un référendum sur son indépendance, le 25 septembre. Les 4,69 millions d’habitants (soit 15 % à 20 % de la population irakienne) de cette région située dans le nord de l’Irak seront appelés à se prononcer sur leur autonomie par rapport à Bagdad. Cette initiative est contestée par Bagdad. Elle inquiète également la communauté internationale : jeudi 21 septembre, le Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) s’est dit préoccupé « face à l’impact potentiellement déstabilisateur [de ce] projet du gouvernement régional ».

Quel est le statut actuel du Kurdistan irakien ?

La région est une entité politique dont l’autonomie est reconnue par la Constitution adoptée par l’Irak en 2005, après la chute du président Saddam Hussein. Officiellement, le Kurdistan irakien dispose de ses propres institutions, qui échappent à l’autorité de Bagdad.

Les forces de sécurité de l’Etat central en sont absentes et les autorités du Kurdistan irakien contrôlent de fait leurs frontières avec les pays voisins. La région du Kurdistan émet ses propres visas, et la présence de consulats étrangers à Erbil, la capitale, rend possible des relations diplomatiques directes avec des puissances étrangères. De plus les jeunes générations n’ont connu qu’un système éducatif en langue kurde.

La région autonome n’est cependant qu’une fiction institutionnelle. La réalité du pouvoir est exercée en dehors de toute légalité par deux factions politico-militaires : le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK).

Issus de la guérilla kurde contre le régime de Saddam Hussein (1979-2003), le PDK et l’UPK, qui avaient obtenu une autonomie de facto en 1991, se sont affrontés au cours d’une guerre civile meurtrière entre 1994 et 1998, avant de se partager le territoire et l’administration de la région kurde, créée après 2003. Ils conservent leurs propres forces militaires et de sécurité ainsi que des intérêts économiques et des réseaux clientélistes distincts.

Au sens strict, le Kurdistan irakien comprend les trois provinces de Dohouk, Erbil et Souleymanieh. Dans les faits, les zones d’influence de l’UPK et du PDK s’étendent au-delà, dans les territoires dits « disputés », placés officiellement sous l’autorité de Bagdad, mais contrôlés de fait par les Kurdes. Ces territoires comprennent la province du Sinjar, dans le nord-ouest de l’Irak, une partie de la plaine de Ninive, entre Mossoul et Erbil, ainsi qu’une partie de la province de Kirkouk, au sud-est d’Erbil.

Davantage qu’un territoire bien défini, doté d’un statut juridique clair, le Kurdistan irakien est donc une zone grise correspondant aux sphères d’influence combinées des deux factions kurdes.

Pourquoi un référendum sur l’indépendance ?

L’initiative du référendum, annoncé au début de juin, a été prise par le président de la région autonome et chef du PDK, Massoud Barzani. Au pouvoir à ce poste depuis 2005, M. Barzani, 71 ans, a vu son dernier mandat prolongé de manière contestée à l’été 2015. Son initiative a reçu le soutien officiel de petits partis satellites et, officiellement, de l’UPK.

Le référendum est présenté de manière vague par ses promoteurs comme la solution aux crises chroniques, qui opposent, à des degrés divers, les factions kurdes à Bagdad, notamment dans le domaine énergétique. L’exploitation et l’exportation autonomes des ressources en hydrocarbures du nord de l’Irak, et en particulier des champs pétroliers de Kirkouk, déjà effectives sous la houlette du PDK, est une source de contentieux avec l’Etat central irakien.

Le référendum est également présenté comme un moyen d’affermir la position kurde dans l’optique de négociations avec l’Etat central.

Le référendum fait-il l’unanimité au sein de la société kurde ?

L’idée d’un Etat kurde indépendant est chère à une majorité de Kurdes. Mais l’organisation du référendum divise. Le Kurdistan traverse une crise économique liée à la baisse des cours du pétrole, ses institutions sont bloquées et son territoire est toujours divisé. L’insatisfaction sociale qui résulte de cette situation suscite dans certaines couches de la population une certaine suspicion vis-à-vis d’une initiative provenant d’un pouvoir contesté.

Des Kurdes lors d’un rassemblement en faveur de l’indépendance du Kurdistan irakien, à Erbil, le 13 septembre. / SAFIN HAMED / AFP

Des voix dissidentes estiment que le référendum pourrait aggraver la situation et que le Kurdistan n’est pas prêt pour l’indépendance. C’est le cas du mouvement Gorran, puissant électoralement mais sans pouvoir politique réel. Il a boycotté la session du Parlement confirmant la tenue du référendum, le 15 septembre. On constate également un clivage géographique. Les régions du Nord, quadrillées par le PDK, ont montré davantage d’engouement que le sud du Kurdistan irakien, zone d’influence de l’UPK.

Le référendum fait-il courir le risque d’un conflit avec Bagdad ?

Le premier ministre irakien, Haïder Al-Abadi, dit comprendre le désir des Kurdes, tout en soulignant la nécessité de respecter la Constitution. « Le référendum est rejeté, aujourd’hui ou dans le futur, qu’il se tienne dans la région du Kurdistan dans les frontières de 2003 ou dans les zones disputées », a-t-il déclaré, le 19 septembre.

A sa requête, la Cour suprême irakienne, plus haute instance judiciaire du pays, a ordonné, lundi 18 septembre, la suspension du référendum d’indépendance jusqu’à ce qu’elle puisse examiner sa constitutionnalité. Le 12 septembre, le Parlement fédéral avait déjà voté contre la tenue du scrutin.

Les tensions montent aussi dans les territoires que se disputent les forces kurdes et les milices chiites, notamment dans les zones mixtes situées autour de Kirkouk, ville où cohabitent une majorité kurde et des minorités arabe et turkmène. Entre déclarations belliqueuses et incidents locaux, les risques d’escalade suscitent l’inquiétude de la population.

Le premier ministre Abadi a même laissé planer la menace d’une intervention militaire à Kirkouk : « Si le citoyen de Kirkouk est exposé au danger, c’est notre devoir légitime d’imposer la sécurité, a-t-il averti, le 19 septembre. J’ai demandé à la police de Kirkouk de faire son devoir en surveillant la sécurité et de ne pas se transformer en un outil [politique]. »

Que dit la « communauté » internationale ?

Les autorités du Kurdistan irakien sont soumises à une pression internationale pour renoncer à cette consultation. L’Iran a menacé, dimanche 17 septembre, de fermer sa frontière avec la région autonome et de mettre fin à tous ses accords de sécurité avec celle-ci si elle venait à proclamer son indépendance.

La Turquie, autre voisin qui compte une importante population kurde, s’oppose également à ce référendum. Le pays, qui entretient de bons rapports commerciaux avec Erbil, redoute l’effet contagieux que pourrait avoir la création d’un Etat kurde à sa frontière. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a jugé que ce scrutin, bien que non contraignant, serait une « très mauvaise chose ».

Estimant que cette consultation serait une entrave à la lutte contre l’organisation Etat islamique et à la « stabilisation des zones libérées », les Etats-Unis ont aussi exprimé leur désaccord. Washington a menacé de cesser tout soutien politique, militaire ou diplomatique au Kurdistan irakien. De son côté, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a critiqué une « initiative inopportune » et a prôné un dialogue entre Bagdad et la région autonome.

Seul Israël a dit soutenir la démarche du Kurdistan.

L’Organisation des nations unies (ONU) a proposé à Erbil d’abandonner ce référendum en échange de son aide pour mener sous trois ans des négociations concluantes avec Bagdad. Elle n’a jusqu’ici pas reçu de réponse de M. Barzani.

Le référendum peut-il être reporté ?

Dans un discours prononcé mardi 19 septembre, M. Barzani a lancé un ultimatum de trois jours à Bagdad pour trouver un accord sur une alternative au référendum qui soit appuyée par la communauté internationale. Pour être jugé acceptable, l’accord devra déboucher à terme sur l’indépendance du Kurdistan.

En cas d’échec, le référendum devra se tenir comme convenu le 25 septembre, selon le président du Kurdistan. Cependant, l’organisation matérielle du scrutin souffre toujours de lacunes techniques qui menacent la régularité du vote, notamment dans les territoires disputés.