Drapeaux turcs et turkmènes d’Irak lors d’une manifestation contre le référendum d’indépendance au Kurdistan irakien, à Istanbul, le 17 septembre. / MURAD SEZER/REUTERS

La Turquie a mis en garde, vendredi 22 septembre, le gouvernement régional du Kurdistan d’Irak (GRK), en Irak du Nord, sur le danger de recourir au référendum d’autodétermination qui se tiendra lundi. Convoqué en fin de journée par le président Recep Tayyip Erdogan, le Conseil de sécurité nationale a enjoint les autorités du GRK, « tant qu’il est encore temps », à annuler le vote, qualifié de « grave erreur », de « geste illégitime et inacceptable ». Mais il en faudrait plus pour faire plier Massoud Barzani, le président du GRK. Les Kurdes, a-t-il déclaré ce même vendredi, « sont prêts à payer n’importe quel prix pour leur liberté ».

Contrairement à ce qui était attendu, Ankara n’a pas annoncé de sanctions. « Toutes les options sont sur la table, a néanmoins rappelé Bekir Bozdag, le porte-parole du gouvernement lors d’un point de presse tenu à Ankara après la réunion du Conseil. Nous demandons l’annulation totale du référendum pour ne pas avoir à imposer de sanctions. »

Ankara craint que le vote en faveur de l’indépendance dans la région kurde d’Irak, riche en pétrole, ne donne des idées à sa propre population kurde, forte de 15 à 18 millions de personnes. Il ne faudrait pas que les rebelles armés du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en guerre depuis plus de trente ans contre l’Etat turc, soient renforcés par la création d’un Etat kurde au Nord de l’Irak.

Il en va « de notre sécurité nationale », a martelé vendredi le Premier ministre turc Binali Yidirim. Il a rappelé qu’à la faveur d’un traité signé en 1926 sur le tracé de la frontière la Turquie avait renoncé à ses prétentions sur les provinces irakiennes de Mossoul et de Kirkouk, à condition que l’Irak reste un Etat unifié.

La presse locale se déchaîne contre Massoud Barzani, l’homme à l’origine du référendum. « Barzani ne veut pas comprendre. On verra ce qu’il fera quand la Turquie prendra des mesures diplomatiques et militaires. Nous allons parler un langage qu’il va finir par comprendre. Nous allons fermer la frontière », menaçait, jeudi, Abdulkadir Selvi, l’éditorialiste du quotidien Hurriyet, réputé proche des islamo-conservateurs au pouvoir.

Depuis le 18 septembre, des chars turcs manœuvrent le long de la frontière avec l’Irak. L’option militaire est à l’étude et le Parlement, qui devait se réunir samedi, va prolonger le mandat autorisant l’armée turque à intervenir en Irak et en Syrie, lequel arrive à échéance le 30 octobre.

Des sanctions évoquées

Cette semaine, la Turquie, l’Iran et l’Irak, tous dotés d’une importante population kurde, n’ont cessé d’exhorter Massoud Barzani à renoncer à son projet. A plusieurs reprises, le président Erdogan a évoqué des sanctions. Des diplomates laissent entendre qu’elles pourraient aller du blocus terrestre et aérien jusqu’à l’option militaire. Mais le Conseil de sécurité s’est contenté pour le moment d’une mise en garde musclée.

Intentions réelles ou gesticulation ? Le référendum est à double tranchant pour Erdogan. Prisonnier des alliances qu’il a nouées avec les ultranationalistes et avec le camp des « eurasianistes » – hostiles à toute idée de reconnaissance d’une identité kurde –, il doit accentuer son discours martial s’il veut avoir leurs soutiens en vue des prochaines élections – présidentielle et législatives en novembre 2019.

Mais sa marge de manœuvres est limitée. Intervenir militairement ou fermer la frontière risquerait de lui faire perdre l’appui des députés kurdes de son propre parti de la Justice et du développement (AKP). D’ores et déjà, Orhan Miroglu, député AKP de Mardin, Galip Ensarioglu, député AKP de Diyarbakir, et Orhan Atalay, député AKP d’Ardahan, se sont dits favorables au référendum. Ce vote est « un droit fondamental de la population d’Irak du Nord. Elle n’a pas besoin de demander la permission pour l’organiser », a fait savoir récemment Orhan Atalay.

Agir contre M. Barzani pourrait se révéler contre-productif pour la Turquie car le voisin kurde d’Irak du Nord est le seul avec lequel les relations sont sans nuages. Ces dix dernières années, M. Erdogan a soigné ses relations avec Barzani, avant tout parce que l’homme était perçu comme faisant contrepoids à l’influence du PKK dans la région. Barzani a toujours toléré les opérations militaires turques au GRK. C’est dans ce contexte que la Turquie a été autorisée par l’administration kurde à implanter des bases militaires au nord de l’Irak.

Les échanges commerciaux sont fructueux pour les deux parties. Plus de 1 000 sociétés turques sont implantées au nord de l’Irak. Avant tout, la Turquie est l’unique voie de sortie du pétrole vendu par les Kurdes en contournant le pouvoir central à Bagdad. Le GRK exporte près de 85 % de sa production pétrolière (quelque 550 000 barils par jour) par le biais d’un oléoduc qui traverse le sud-est de la Turquie jusqu’au terminal de Ceyhan sur la Méditerranée.

Lire la tribune de Gilbert Mitterrand : « L’avenir des Kurdes se joue au Kurdistan irakien »

D’autres acheteurs sont sur les rangs, comme la compagnie publique russe Rosneft qui a signé en juin, lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg, un accord pour l’exploitation, l’achat de pétrole et la construction de tubes au GRK. Dirigée par Igor Setchine, un proche de Vladimir Poutine, Rosneft est le bras énergético-diplomatique du Kremlin. Contrairement à Recep Tayyip Erdogan, Vladimir Poutine n’est pas hostile à la tenue du référendum kurde, un sujet qui sera sans doute évoqué lors de la prochaine visite du président russe à Ankara, le 28 septembre.