Pour Mélenchon, « c’est la rue qui a abattu les nazis »
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Est-ce un dérapage ou une simple approximation historique ? Jean-Luc Mélenchon a, en tout cas, déclenché la polémique en affirmant, lors du discours de clôture de sa « marche contre le coup d’Etat social », samedi 23 septembre, que « c’est la rue qui a abattu les rois, c’est la rue qui a abattu les nazis, c’est la rue qui a protégé la République contre les généraux félons en 1962 ».

Devant plusieurs dizaines de milliers de personnes réunies place de la République à Paris, M. Mélenchon a continué son anaphore en évoquant des réformes sociales conquises après des mouvements sociaux ou encore des reculs gouvernementaux obtenus « par la rue », comme ce fut le cas pour la réforme Juppé en 1995 ou encore le CPE en 2006. Le député La France insoumise des Bouches-du-Rhône entendait répondre à Emmanuel Macron qui avait déclaré sur CNN que « la démocratie, ce n’est pas dans la rue ».

Très vite, les réactions indignées se sont multipliées. Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, a évoqué « une faute grave ». Lancien premier ministre Manuel Valls, aujourd’hui député de l’Essonne apparenté La République en marche, a écrit sur Twitter qu’il ne fallait pas « de complaisance à l’égard de Mélenchon, de sa violence, de ses références historiques hasardeuses ».

« Vérité partielle »

Jean-Luc Mélenchon a dû s’expliquer dimanche sur son blog en se défendant d’avoir comparé « le gouvernement actuel aux nazis ». Une réponse insuffisante pour faire retomber les critiques qui se sont concentrées autour de la phrase affirmant que la rue aurait « abattu les nazis ». Les lieutenants de M. Mélenchon ont alors répliqué en convoquant la libération de Paris qui « a démarré par une insurrection populaire » et la mémoire du général de Gaulle, notamment son fameux discours du 25 août 1944 où il lança : « Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré !… libéré par lui-même, libéré par son peuple, avec le concours des armées de la France. »

« Ce n’est pas un dérapage ou une maladresse. L’histoire s’est écrite par de grandes mobilisations populaires. C’est une banalité de le dire, cela fait partie de la mystique nationale », assure Alexis Corbière, député La France insoumise de Seine-Saint-Denis. Ce professeur d’histoire justifie les propos de M. Mélenchon : « Il ne dit pas que c’est uniquement la rue qui a abattu les nazis. L’image classique de la libération de Paris, c’est la barricade. C’est une image connue dans le monde entier ! Il n’y a pas plus français que ça ! » Pour lui, l’explication est simple : cette polémique est « un gigantesque contre-feu à la mobilisation » de samedi.

Les historiens, eux, sont beaucoup plus sévères à l’égard de Jean-Luc Mélenchon. « C’est une sottise ce qu’il a dit, c’est absurde !, s’étrangle Jean-Noël Jeanneney. Je ne comprends pas pourquoi il a dit cela. » « Ce que dit Mélenchon est une vérité partielle. Ce qui a libéré la France des nazis, c’est la Résistance clandestine, le Débarquement, l’avancée de l’Armée rouge. Le rôle des manifestations de rue est quand même marginal », abonde Jean Garrigues, professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Orléans et à Sciences Po et auteur de plusieurs tribunes positives à l’égard d’Emmanuel Macron. Il ajoute que se réclamer de la rue comme le fait Jean-Luc Mélenchon peut être « pour le moins ambigu ». « La rue acclamait Pétain quelques mois avant la Libération de Paris et le 6 février 1934, elle menaçait la République. »

De mauvais arguments pour M. Corbière. « Il y a une amnésie historique qui conteste notre histoire, qui en nie une facette. Le peuple de France a, par ses mobilisations, écrit son histoire », assure celui qui dit se réclamer de « la lutte des classes » et du matérialisme historique marxiste.