La majorité de droite est sortie renforcée des élections sénatoriales, dimanche 24 septembre. Le scrutin, qui a renouvelé la moitié du Sénat, constitue, en revanche, une nette déception pour La République en marche (LRM) d’Emmanuel Macron, loin de ses objectifs initiaux. Nicolas Chapuis, chef du service politique au Monde, a répondu à vos questions sur le détail des résultats pour chaque groupe.

Edradour : Le résultat de LRM n’était-il pas prévisible, étant donné la faiblesse de l’ancrage du mouvement ?

Nicolas Chapuis : Oui, le faible résultat de LRM était prévisible. Mais les responsables du parti s’attendaient tout de même à emporter davantage de sièges. Même si le parti n’existait pas en 2014, une partie des élus locaux non encartés, classés comme « divers gauche » ou « divers droite », aurait pu, à l’instar des citoyens aux dernières élections, basculer dans le camp de Macron. Mais, une grande partie dentre-eux a été douchée par l’annonce de la réduction massive des emplois aidés, grâce auxquels les collectivités locales fonctionnent.

Bizarreries : A propos des emplois aidés, leur suppression totale figurait dans le programme de François Fillon. Et vous nous expliquez que les élus locaux ont été douchés par leur réduction et ont donc voté pour LR. Logique ?

Vous avez raison, les élus de droite ont fait campagne aux sénatoriales en dénonçant les décisions de M. Macron alors que leur candidat envisageait des mesures bien plus radicales, en matière d’emplois aidés.

Nicolas : Le contrôle des deux chambres par LRM aurait constitué une opportunité pour mener des réformes ou faire adopter des textes très rapidement. Le maintien d’une chambre dans « l’opposition » constitue-t-il une garantie de tenue de débats autour des textes de loi ?

LRM n’a jamais envisagé de décrocher la majorité au Sénat, la marche était beaucoup trop haute. En revanche, ils voulaient réaliser un meilleur score et être la deuxième force de l’assemblée. Pour le vote des lois ordinaires, cet échec n’est pas réellement un souci pour Macron. En cas de désaccord entre les deux assemblées, c’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot par rapport au Sénat.

Mais l’enjeu pour Macron était surtout de se rapprocher des fameux « 3/5e ». Pour réformer la Constitution (ce que Macron voudrait faire en juillet prochain), il faut d’abord que les deux assemblées votent un texte dans les mêmes termes, puis celui-ci est soumis au vote du Congrès. Il n’est adopté que s’il emporte au moins 3/5e des voix, soit 555 parlementaires sur les 925. Avec ce mauvais résultat, Emmanuel Macron s’en éloigne. A moins qu’il ne passe outre le Congrès et qu’il fasse un référendum.

Nooppi : Au vu de l’intention du gouvernement de faire passer certaines lois par ordonnances, que l’Assemblée nationale a toujours « le dernier mot », et que les grands électeurs sont majoritairement à droite, cette « défaite » de LRM en est-elle réellement une ?

Si LRM n’avait pas affiché après les législatives de grandes ambitions, en laissant entendre qu’une nouvelle vague se préparait au Sénat, la lecture politique du résultat ne serait sans doute pas la même. Mais même si ce sont les grands électeurs qui votent, le collège est composé en grande majorité de maires non encartés des petites communes de France, qui auraient pu être séduit par LRM. Le fait que ceux-ci aient exprimé une défiance vis-à-vis du nouveau pouvoir est un mauvais signal pour Macron. Ces « grands électeurs » qui sont en réalité surtout des « petits maires » sont au contact de la population et leur voix n’est pas nécessairement aussi déconnectée des réalités que ce que l’on peut penser de prime abord.

Theophile38 : Ne pensez-vous pas que certains élus qui n’ont pas actuellement l’investiture LRM pourraient, après l’élection de Gérard Larcher, rejoindre le groupe ? De même, dans le groupe UDC actuel, il y a des membres du MoDem, partenaire de LRM à l’Assemblée…

Vous avez raison, au Sénat les tractations ne font que commencer. Dans la semaine, on peut assister à des ralliements d’élus « divers gauche » ou « divers droite ». Au sein du groupe PS, il faudra aussi clarifier les choses. Une partie des élus autour du patron de groupe, Didier Guillaume, sont « Macron-compatibles », et une partie des élus autour de Marie-Noëlle Lienemann, sont très opposés à LRM. Au sein de LR, vu la victoire qui se dessine, il est probable qu’il y aura moins de mouvements. Mais il faudra surveiller la partie dite des « constructifs », ces élus de droite pro-Macron.

Antoine : Peut-on considérer qu’avec ces résultats, la réduction du nombre de parlementaires et le non-cumul dans le temps sont enterrés ?

Le projet de réforme de la Constitution est plus compliqué aujourd’hui pour M. Macron. Mais il peut réussir à convaincre une partie de la droite. Les élus savent que ces mesures sont assez populaires dans l’opinion publique, qui considère globalement qu’il y a trop d’élus et que le cumul favorise la déconnexion entre le peuple et les barons locaux. La droite peut ainsi penser que s’opposer à une réforme populaire n’est pas un bon calcul.

Nul en calcul : Législatives de juin 2017 1er tour : LRM 32 %, FN 13 %, LFI 9 % soit 54 % des voix. Sénatoriales : 28 LRM, 2 FN, 0 LFI. N’y a-t-il pas un problème ?

Vous avez raison, la différence peut paraître incompréhensible. Elle s’explique cependant par le mode de scrutin particulier des sénatoriales. Les seuls à voter sont « les grands électeurs », les élus régionaux, départementaux et municipaux. De ce point de vue, les sénatoriales correspondaient à une sorte de troisième tour des municipales de 2014. A l’époque, LRM et LFI n’existaient pas. Et le FN n’avait remporté que très peu de mairies.

Henri : Au rythme actuel, à quelle échéance le Sénat sera-t-il enfin paritaire et quels moyens pourraient être mis en œuvre pour accélérer le processus ?

La féminisation du Sénat a augmenté (29 % d’élues, contre 25 % lors du dernier renouvellement). A ce rythme-là, il faudrait attendre encore cinq renouvellements, soit 2033 pour approcher de la barre des 50 %… Le scrutin actuel dans les départements qui pratiquent la proportionnelle, favorise la féminisation avec des listes mixtes (un homme, une femme, un homme, une femme etc.). Mais on remarque que le premier de liste est beaucoup plus souvent un homme (et souvent les listes n’ont qu’un seul élu) et que la multiplication des listes (notamment avec des hommes déçus d’être trop bas sur une liste, pour cause de parité, qui montent leurs propres listes) permet de contourner la parité.

MAX : Combien y a-t-il d’élus « insoumis » ?

Les « insoumis » n’ont eu aucun élu lors de ces sénatoriales. LFI n’existait pas en 2014 et n’a donc pas d’élus locaux au sens premier du terme. Jean-Luc Mélenchon n’avait donc pas fait de cette élection un enjeu politique en n’investissant pas de liste. Les communistes pourront eux compter sur un groupe avec 8 élus, auxquels se joindront des élus écologistes. La barre pour former un groupe est fixée à 10 sénateurs.

HM : Macron ne s’était-il pas engagé à ce que les ministres qui ne sont pas élus démissionnent de leurs fonctions ? Gérald Darmanin n’ayant pas été élu, devra-t-il démissionner ?

Non, la règle n’avait pas été édictée pour les sénatoriales, mais seulement pour les législatives.

L’archer : Quand aura lieu l’élection du Président ?

Elle aura lieu lundi 2 octobre. Gérard Larcher devrait être élu sans souci, pour son troisième mandat.

L’archer : LeMonde.fr annonce un « effet » non-cumul des mandats. Quand le verra-t-on ?

Tout à fait, les sénateurs qui possèdent un autre mandat incompatible ont un mois pour choisir entre les deux. Cela est valable pour les sénateurs tout juste élus, mais aussi pour ceux dont le siège n’était pas renouvelé cette fois-ci. Ainsi, parmi les 178 sénateurs dont le siège n’était pas renouvelé, environ une centaine est en situation de cumul. La face du Sénat pourrait ainsi se modifier encore dans le mois à venir. S’ils choisissent leur mandat local, les sénateurs laissent la place à leur suppléant (pour ceux élus au scrutin majoritaire) ou au suivant sur la liste (pour ceux élus à la proportionnelle). Si celui-ci est de la même couleur politique, cela ne modifie pas l’équilibre politique du Sénat, mais si c’était une liste d’alliance, certains groupes peuvent perdre des membres.