Petits parmi les grands… Etre invité à se produire à Culture au quai, le festival parisien du 19e arrondissement qui fêtait ses dix ans, entre le philosophe Raphaël Enthoven et l’humoriste Sophia Aram, n’a pas tourné la tête des Soudan Célestins Music. Au contraire, leur prestation, samedi 23 septembre, dans ce festival destiné à croiser les regards, les cultures et à jouer l’intégration par l’art, s’est nourrie du rythme imposé par leurs aînés dans le métier de la scène sans rien enlever à la spécificité du groupe.

« Nous ne sommes pas des musiciens professionnels », avait prévenu Mustafa, 27 ans, qui gravite autour du groupe, se produisant parfois avec eux. « Nous sommes des réfugiés qui aimons la musique de notre pays, le Soudan ou l’Erythrée, et voulons la partager avec vous », avait-il précisé sur scène dans son français de plus en plus fluide. Un positionnement sans ambiguïté aucune qui a le mérite de désamorcer les désillusions. Même si, à chaque prestation, le professionnalisme du petit groupe monte d’un cran.

Des lectures magnifiques

La culture permet la rencontre, c’est le pari de ce moment auquel les Soudan Célestins Music ont été fiers de participer. Pourtant, même dans ce microcosme averti, la rencontre avec l’étranger n’est pas allée de soi. Vu des loges, le paysage était un peu différent samedi soir du discours porté là. Un peu plus morcelé, même. Chaque artiste convié à se produire à son tour sur la scène nocturne de Culture au quai est resté sur son quant-à-soi, sans créer d’échange avec les réfugiés. Les chanteurs ont interprété de beaux textes, les lectures ont été magnifiques, prônant le dialogue, l’ouverture, l’accueil. Mais, en coulisse, la rencontre n’a pas vraiment eu lieu.

Les Soudan Célestins Music prennent la pose avec Raphaël Enthoven à la demande de leur manager, lors du festival Culture au quai, à Paris, le 23 septembre 2017. / Sandra Mehl pour "Le Monde"

Samedi soir, les Sophie Aram, Emily Loizeau ou Sam Karman sont venus pour parler des réfugiés, mais pas aux réfugiés. Comme si prôner l’interculturel permettait de s’affranchir d’échanger avec des Soudanais ou des Syriens venus en chair et en os avec le poids de leur histoire, de leur voyage, de leurs galères. Deux groupes de réfugiés étaient pourtant là, les Soudan Célestins Music et les Refugees of Rap, qui se faisaient petits dans les loges, conscients qu’ils n’avaient pas tous les codes de l’arrière-scène parisienne.

En fait, chaque artiste est resté dans son petit univers, ne pensant qu’à sa propre prestation, se concentrant sur son texte, sa chanson, sans voir l’étranger, forcément moins assuré que lui par l’habitude de la notoriété. Drôle d’arrière-festival quand il s’agissait d’expliquer en avant-scène au public l’intérêt de faire dialoguer les cultures, de vanter les vertus de l’accueil et de l’ouverture.

Petite photo

Quand Ahmed, Hassan, Mustapha ou Abdo Rsol sont entrés dans les loges, le rappeur Abd Al Malik, lui, s’est assis avec eux et a pris le temps de l’échange. Durant de longues minutes, il s’est intéressé au projet des Soudan Célestins Music, donnant des conseils à Ahmed pour poser sa voix et des petits trucs de scène pour que le groupe des réfugiés puisse progresser. Ce tenant d’un islam de tolérance a su jouer les grands frères face à ces nouveaux venus de la scène. Lors du passage des Soudan Célestins Music, il a écouté d’une oreille professionnelle chaque chanson, observant les détails et applaudissant. A cette heure-là, les grandes vedettes de la scène parisienne, elles, étaient déjà reparties, après parfois avoir accepté une petite photo avec le groupe de réfugiés quand même. A condition que cela ne les retarde pas trop.

Abd Al Malik, Ahmed et Mustafa échangent dans les coulisses, avant leur concert du samedi 23 septembre 2017, pour le festival Cultures au quai, à Paris. / Sandra Mehl pour "Le Monde"

De cette soirée, Ahmed, Hassan, Boklyn et les autres retirent la fierté d’avoir été invités, bien sûr, et aussi ce moment fort de partage avec Abd Al Malik, dans l’ombre des coulisses, un lieu parfait pour parler exil et Afrique. Le rappeur, très au fait, a même interrogé Ahmed sur sa famille vivant dans le camp de réfugiés bombardé la veille, vendredi 22 septembre, par le président du Soudan. Ensemble, ils ont évoqué le Congo et le Soudan et la douleur de tout le continent. Dans les festivals comme dans la vie, il y a ceux qui parlent de l’exil et ceux qui parlent aux exilés…