Le premier ministre japonais Shinzo Abe speakslors d’une conférence de presse, lundi 25 septembre à Tokyo. / Shizuo Kambayashi / AP

Editorial du « Monde ». En dépit des deux missiles qui sont passés au-dessus de l’Archipel ces dernières semaines pour s’abîmer dans le Pacifique et des vitupérations de Pyongyang, les Japonais ne semblent pas s’émouvoir outre mesure des menées de leur voisin nord-coréen. Ces menaces ne sont pas nouvelles, mais elles ont pris une dimension inédite : ce qui inquiète les Japonais, c’est l’imprévisibilité non pas tant de Kim Jong-un, mais de Donald Trump.

En jouant de ces inquiétudes, le premier ministre, Shinzo Abe, a convoqué, lundi 25 septembre, des élections anticipées qui visent surtout à lui permettre de conserver un pouvoir qu’il détient depuis cinq ans et d’apparaître comme l’homme fort, capable de faire face à ce qu’il nomme la « crise nationale », à laquelle serait confronté le Japon. « Crise nationale » ? Au regard de l’agitation que connaissent les Etats-Unis et l’Europe, le Japon paraît un havre de paix. Peut-être trop… La formation de M. Abe, le Parti libéral-démocrate, est en tête dans les sondages. Le premier ministre se présente comme le continuateur d’une politique de relance publique destinée à sortir le pays de deux décennies de croissance inerte.

Shinzo Abe profite d’une opinion qui reste atone, sans relais pour exprimer son mécontentement sinon par son abstention lors des scrutins. Une nouvelle formation, le Parti de l’espoir, de la gouverneure de Tokyo, Yuriko Koike, va essayer de capitaliser sur l’insatisfaction flottante, le malaise, d’une partie de l’opinion. C’est dans cette « liquéfaction de la démocratie », selon le mot, mardi matin, du Nikkei, le quotidien du monde des affaires, que pourrait résider la « crise nationale » dont parle M. Abe. Elle tient peut-être principalement à la difficulté du Japon, troisième économie du monde, à se situer sur la scène internationale.

« Japan is back », avait martelé M. Abe en revenant au pouvoir en 2012, avant de lancer, trois ans plus tard, une autre formule – « un pacifisme proactif » – pour justifier une plus grande projection à l’extérieur des forces militaires du pays. Depuis, le volontarisme de M. Abe, qui se veut omniprésent à travers le monde, s’est surtout traduit par un alignement renforcé sur les Etats-Unis de Donald Trump.

Un sentiment d’insécurité dans l’opinion

Le premier ministre a soigneusement évité de commenter les sorties de ce dernier sur la Corée du Nord, mais il ne s’en est pas pour autant démarqué. Par ce suivisme, il maintient le Japon dans une position subalterne : peu audible. Tokyo ne prend aucune initiative qui lui soit propre sur les questions nord-coréenne et chinoise. Après une courte lune de miel avec la présidente Park Geun-hye, les liens avec la Corée du Sud ne se sont guère améliorés.

Quant aux efforts en direction de la Russie afin de trouver un compromis sur la question de la souveraineté des quatre îles Kouriles, ils n’ont pas abouti. Premier dirigeant à s’être rendu aux Etats-Unis pour congratuler Donald Trump après son élection, Shinzo Abe feint d’ignorer que son alignement sur Washington limite les initiatives régionales du Japon, risquant de le mettre en porte à faux par rapport à ses voisins (Corée du Sud et Chine) sans pour autant contribuer à calmer les ardeurs bellicistes du président américain.

Les crises alimentent un sentiment d’insécurité dans l’opinion qui servent l’ambition ultime de M. Abe : réviser la Constitution pacifique dont le pays s’est doté au lendemain de la seconde guerre mondiale. Est-ce le remède au malaise japonais ?