En cette journée mondiale de la contraception, et au lendemain de la publication du baromètre santé de Santé publique France qui confirme une évolution du modèle contraceptif français, Cécile Ventola, docteure en santé publique et sociologue à l’Institut national d’étude démographique (INED), répond à vos questions sur la contraception, son histoire en France, ses particularités, ses évolutions.

Papillon : J’ai 40 ans et je fais partie de ces femmes qui ont renoncé à prendre la pilule, depuis déjà plusieurs années. Je l’ai prise durant cinq années au cours desquelles aucune gynécologue ne m’a fait passer d’examen particulier avant de me la prescrire… Comment cela se fait-il ?

Cécile Ventola : La prescription d’une pilule contraceptive ne nécessite pas d’examen approfondi de la part de votre médecin ou de votre sage-femme. Après s’être assuré que cette méthode de contraception est bien celle désirée, il suffit de vérifier l’absence de contre-indications comme les migraines avec aura ou les troubles de la circulation sanguine.

Ornis : J’ai 31 ans, je suis mariée depuis six ans et je ne veux pas d’enfants. Ma décision est prise depuis plusieurs années, mon conjoint est en accord avec mon choix. Cependant ma gynéco me refuse la contraception définitive à laquelle la loi me donne droit. Quelles sont mes possibilités pour obtenir la contraception définitive ?

C’est effectivement votre droit, et votre gynécologue n’a pas à vous la refuser. Vous pouvez essayer de trouver un(e) praticien (ne) acceptant votre choix, par le bouche-à-oreille, ou en vous référant à des sites sur Internet comme la liste gyn & co qui répertorient les soignants ou les médecins favorables aux choix des femmes.

cc : Où en est-on de la contraception masculine ? Les laboratoires de recherche s’intéressent-ils au sujet ? Ou est-ce définitivement enterré ?

Il existe déjà une contraception masculine hormonale mais qui implique des injections régulières. Il y a aussi une méthode de contraception dite thermique. Elle a été développée par un collectif d’hommes à Toulouse. Enfin, le Vasalgel est actuellement en phase d’essai clinique aux Etats-Unis. Il s’agit d’une méthode au long cours. Ce gel, injecté dans les canaux déférents – qui relient les testicules à l’urètre –, modifie la qualité des spermatozoïdes. Une fois mis en place, il est efficace cinq ans, et peut être retiré à tout moment.

Cha : Quelles alternatives pour les femmes ne souhaitant plus utiliser d’hormones ?

Le stérilet au cuivre peut être adopté comme méthode de contraception dès l’adolescence. Les méthodes mécaniques (préservatif féminin ou masculin, diaphragme) permettent aussi d’éviter les hormones. Il existe aussi les méthodes dites naturelles comme la symptothermie (prise de températures, étude de la glaire cervicale…).

Eric : Pourquoi la vasectomie n’est-elle pas aussi répandue en France qu’en Amérique du Nord ? Je me suis fait vasectomiser la semaine dernière, tout le personnel hospitalier semblait très étonné de ma démarche…

Le contexte français est traditionnellement nataliste, c’est-à-dire que les naissances sont encouragées. Cela est notamment lié au fait que la France a vécu sa transition démographique (baisse de la fécondité) dès la fin du XVIIIe siècle, près d’un siècle avant les autres pays européens. Cela a généré des inquiétudes de la part des politiques qui craignaient la baisse de la puissance militaire française. Cette tradition a freiné la diffusion des méthodes définitives (stérilisation) en France. Elles n’ont bénéficié d’un encadrement légal qu’en 2001.

Les médecins en France ne sont pas formés à la vasectomie et il est très rare que cette méthode soit proposée lors d’une consultation pour contraception. En Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, l’absence de tradition nataliste et l’influence de l’eugénisme ont autorisé un recours volontaire à la vasectomie comme méthode de contraception dès les années 1960. Aujourd’hui, les médecins britanniques la proposent systématiquement.

Jeanne : J’ai abandonné la pilule car il me semblait que les hormones provoquaient une baisse voire une absence de libido. En en parlant autour de moi, je ne pense pas être un cas isolé. Pourquoi est-ce que les gynécos n’en parlent pas lors des consultations ?

Vous n’êtes effectivement pas la seule à expérimenter un impact de la pilule contraceptive sur votre libido. Ces conséquences ont longtemps été considérées comme psychologiques et la parole des femmes est toujours très peu prise en compte. Les recherches pour comprendre le lien entre hormones et libido féminine n’ont été entreprises qu’à partir de 2005 alors que certains projets de développement de la pilule masculine ont été abandonnés dès les années 1980 précisément à cause de l’impact de la prise d’hormones sur la libido masculine.

Céline : L’implant contraceptif, ainsi que le stérilet, pose un problème de maîtrise par la femme de sa fécondité : impossible d’arrêter sans passer par un médecin. Alors que la pilule garantit cette liberté d’arrêter à tout moment. Dans d’autres pays d’Europe, cette liberté de disposer de sa fécondité sans approbation d’un médecin va plus loin car les pilules contraceptives sont en vente libre en pharmacie.

En France, en 1967 lors du vote de la loi Neuwirth autorisant la contraception, confier le contrôle de cette dernière aux médecins fut le compromis politique trouvé pour concilier les revendications des féministes et les inquiétudes des plus conservateurs. Aujourd’hui, ce contrôle par les médecins fait débat.

La crise médiatique des pilules de troisième et quatrième génération en 2012 a, pour certains, renforcé la nécessité d’encadrer médicalement la prise d’un contraceptif hormonal. Mais d’autres considèrent qu’il s’agit d’un obstacle à l’autonomie des femmes.

Pitch : La contraception est-elle amenée à évoluer dans la conception que s’en fait la société, c’est-à-dire avant tout comme une histoire de femmes ? Faire de la contraception une question pleinement partagée ne serait-ce pas aussi permettre rééquilibrer les responsabilités et les implications en tant que mères et pères potentiels ?

En France, à partir du moment où la contraception est devenue médicale (dans le courant des années 1960), elle est devenue une affaire entre les femmes et leur médecin, et non plus une affaire de couple. La diffusion des méthodes médicales a fait basculer la prévention des grossesses dans les tâches traditionnellement attribuées aux femmes au même titre que le soin apporté aux enfants. Actuellement, les jeunes générations remettent en cause le modèle contraceptif français ce qui pourrait contribuer à un plus grand partage de cette responsabilité.

Dans d’autres pays (Canada, Grande-Bretagne, Espagne), les méthodes masculines (préservatif, vasectomie) sont plus couramment utilisées et les responsabilités sont donc davantage partagées entre partenaires au cours de la vie.

Richarlot : Pourriez-vous expliquer concrètement pourquoi la recherche sur la pilule masculine ne s’est jamais développée ?

Historiquement, les recherches sur la reproduction se sont focalisées sur le corps féminin. La gynécologie est née au XIXe siècle et il s’agissait alors de démontrer des différences biologiques très importantes entre les corps féminins et masculins, et notamment la « faiblesse naturelle » du corps féminin pour justifier leur exclusion des sphères de pouvoir.

Les recherches sur les hormones se sont développées dans les années 1930 et se sont davantage concentrées sur les thérapies destinées aux femmes. Quand la pilule contraceptive a été élaborée dans les années 1950, il y avait plus de connaissances disponibles sur le fonctionnement reproductif féminin que sur celui du corps masculin.

Il faut aussi prendre en compte le fait que pendant longtemps la recherche a été faite par des hommes. Mais aussi que l’élaboration de la pilule hormonale a été financée par des féministes (Margaret Sanger) qui se sont mobilisées pour qu’une méthode efficace et indépendante de l’acte sexuel existe. Il n’y a jamais eu de revendication équivalente de la part des hommes.