Laura Kuenssberg, chef du service politique de la BBC, devant de 10 Downing Street, à Londres, le 9 juin. / JUSTIN TALLIS / AFP

Couvrir le congrès du Parti travailliste (Labour Party) pour la BBC relèverait-il du journalisme de guerre ? Un garde du corps a été recruté par le grand média britannique de service public pour assurer la protection de Laura Kuenssberg, sa chef du service politique, pendant sa couverture du congrès du Labour qui se tient à Brighton (sud de l’Angleterre), depuis dimanche et jusqu’à mercredi.

Depuis des mois, la journaliste, âgée de 40 ans, est visée par une campagne menée par certains partisans du leader du parti, Jeremy Corbyn, qui lui attribuent une couverture biaisée, systématiquement hostile à ce dernier, très à gauche.

Le tabloïd Sun, qui déteste M. Corbyn, sans pour autant, lui, être menacé, a été le premier à révéler l’information, visiblement ravi de dénoncer des « menaces gauchistes ». La position officielle de la BBC consiste à « ne pas communiquer sur les questions de sécurité ». Mais un de ses responsables explique au Sun : « Nous prenons très au sérieux la sécurité de notre personnel. Laura [Kuenssberg] est une personnalité bien connue du public. Elle (…) couvre des événements comportant des foules importantes où il peut y avoir de l’hostilité. »

Un ange gardien, ancien militaire

Laura Kuenssberg est titulaire du poste très prestigieux de « BBC’s political editor », sans équivalent en France, qui l’amène à commenter sans cesse l’actualité politique, aussi bien à la télévision qu’à la radio ou sur les sites Internet de la BBC. Le Times publie une photographie souriante de la journaliste vedette, accompagnée par son ange gardien, présenté comme un ancien militaire travaillant comme conseiller sécurité du groupe public.

En mai 2016, 35 000 personnes avaient signé une pétition en ligne réclamant le limogeage de Mme Kuenssberg, accusée de dénigrer le nouveau leader du Labour. Les promoteurs de cette initiative l’avaient finalement abandonnée, reconnaissant qu’elle avait été détournée par des trolls l’utilisant comme instrument de « harcèlement sexiste et haineux ».

Mais la commentatrice politique — dont les interventions balancées évoquent, pour un Français, le « style Science Po » —, reste la cible favorite des réseaux pro-Corbyn, en particulier du site The Canary, qui décortique férocement chacune de ses phrases, prompt à y dénoncer de prétendus dérapages.

Première femme nommée à ce poste

Nick Robinson, le prédécesseur de Laura Kuenssberg au poste de political editor de la BBC fut aussi accusé de partialité dans sa couverture du référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, mais jamais il n’eut besoin d’un garde du corps. Mme Kuenssberg est la première femme nommée à ce poste, et les attaques dont elle est la cible sont considérées comme sexistes par de nombreux observateurs. « Certains refusent d’accepter qu’une femme, même si sa vie est consacrée à couvrir la politique, sait de quoi elle parle, écrit Gaby Hinsliff, chroniqueuse au Guardian. Il est frappant qu’aucun de ses prédécesseurs ni aucun journaliste homme ouvertement hostiles à Corbyn n’a été mis à l’index. »

Le Parti travailliste, ainsi accusé d’être un terrain miné pour les journalistes, n’a pas réagi officiellement. Mais Diane Abbott, ministre de l’intérieur du cabinet fantôme (opposition) et proche de Jeremy Corbyn, a déclaré au Guardian : « Laura Kuenssberg fait son travail. Je n’aime pas toujours la façon dont elle le fait, mais c’est son travail. » Mme Abbott, elle-même visée en tant que femme, noire, et responsable politique aux jugements lapidaires par une campagne aux relents sexistes et racistes, a ajouté : « Il n’est pas juste qu’elle soit harcelée seulement parce que c’est une journaliste femme. »

La relance de la polémique entre le Labour et la BBC souligne aussi un certain aveuglement des médias britanniques qui, souvent isolés dans la bulle de Westminster, n’ont pas vu venir l’ascension électorale de Jeremy Corbyn et peinent aujourd’hui à l’analyser.