Muriel Penicaud, ministre du travail, et Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, le 22 septembre sur le péron de l’Elysée. / PHILIPPE LOPEZ / AFP

Christophe Castaner aime peut-être jouer avec le feu. Interrogé, lundi 25 septembre, sur RMC – BFM-TV pour savoir si l’exécutif comptait tirer parti de la prochaine réforme de la formation professionnelle pour « remettre à plat le financement des syndicats », le porte-parole du gouvernement a répondu par l’affirmative : « Il faut l’assumer, il faut discuter… Mais il faut faire ça dans la clarté. On a besoin de syndicats puissants, ils ont besoin de ressources. (...) Si vous leur garantissez l’action et les conditions de leur action, je crois qu’ils sont prêts, que ce soit le Medef ou les organisations de salariés. » Et d’ajouter : « Si vous le posez, c’est que c’est un vrai problème. Donc vous avez raison de le poser, ce serait une faute de l’exclure… »

Ces déclarations sur un sujet aussi sensible ont de quoi étonner dans un contexte social déjà tendu après la publication au Journal officiel des ordonnances réformant le code du travail. Les syndicats, eux, sont tombés de leur chaise. « Renseignements pris, ce n’est pas à l’ordre du jour, affirme ainsi le secrétaire général de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly. Comme ça arrive parfois à M. Castaner, il part en “live”… » Même réaction à la CFDT : « Il ne sait pas de quoi il parle », s’exclame la numéro deux de la centrale cédétiste, Véronique Descacq. « Je ne vois pas l’intérêt pour le gouvernement d’ouvrir un front supplémentaire sur un sujet de discorde inutile », critique également le président de la CFE-CGC, François Hommeril. La CGT n’est pas en reste : « C’est une déclaration scandaleuse qui jette l’opprobre alors que nous sommes assujettis à des règles claires et précises », s’emporte Fabrice Angei, membre du bureau confédéral. « A ma connaissance, il n’y a rien dans les tuyaux », complète Philippe Louis, président de la CFTC. A ses yeux, la question posée à M. Castaner et la réponse apportée par celui-ci traduisent « une méconnaissance du dossier ».

Le patronat est tout aussi surpris. Au Medef, on indique ne pas « avoir d’informations sur ce que [M. Castaner] a en tête ». « Il est sur un vieux schéma qui a changé en 2014 », ajoute-t-on. Une allusion à la loi « relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale », promulguée il y a trois ans et demi. L’un de ses objectifs était de mettre fin au financement des partenaires sociaux sur des fonds destinés au système de formation continue. Ces pratiques jugées opaques ont alimenté, durant des années, le soupçon à l’encontre des organisations de salariés et d’employeurs. Mais ces usages n’ont plus cours, souligne-t-on au cabinet de la ministre du travail, Muriel Pénicaud, en certifiant : « Réformer le financement des syndicats n’est, par conséquent, un sujet ni pour le présent ni pour l’avenir. »

Une « contribution » des entreprises

La loi de 2014 a mis en place un mécanisme qui procure aux partenaires sociaux des ressources – à la place de celles issues des ponctions jusqu’alors effectuées sur l’argent de la formation professionnelle. Ce nouveau flux de subsides est alimenté par une « contribution » des entreprises (égale à 0,016 % de leur masse salariale) –  soit un peu plus de 83 millions d’euros en 2015, auxquels s’ajoutent quelque 32,5 millions octroyés par l’Etat. Ce qui fait, au total, 115 millions, redistribués par l’Association de gestion du fonds paritaire national (l’AGFPN). Près de 78 millions ont été versés aux syndicats (dont 17, respectivement, à la CGT et à la CFDT) et 37 millions aux organisations d’employeurs (dont un peu plus de 11 au profit du Medef).

Cette manne sert notamment à couvrir les dépenses engagées par des représentaux syndicaux et patronaux pour participer au fonctionnement d’institutions paritaires et à l’élaboration de politiques publiques ; elle permet aussi d’assurer la formation de salariés qui occupent des responsabilités syndicales. Chaque organisation est tenue de justifier de l’utilisation des crédits ; sinon, l’AGFPN lui coupe les vivres.

Malgré ce dispositif, qui vise à garantir la traçabilité des financements, « une vraie opacité » continue de prévaloir, selon Dominique Andolfatto, professeur de science politique à l’université de Bourgogne Franche-Comté. L’AGFPN a pourtant publié un rapport annuel mais « on ne sait rien de l’utilisation par les syndicats et par le patronat des fonds », en dehors du fait qu’ils doivent « accomplir des “missions d’intérêt général” » : « L’AGFPN s’est bornée à mentionner que tout était en règle, poursuit Dominique Andolfatto. Elle aurait pu ajouter : “Circulez braves gens”... »

Les ordonnances relatives à la réforme du code du travail ont retouché certaines règles applicables à l’AGFPN, notamment en matière de collecte de la ressource. Ainsi, les salariés partant en congé pour suivre une « formation sociale, économique et syndicale » verront leur rémunération maintenue par leur patron ; ce dernier pourra la déduire de sa contribution au fonds paritaire national. Du coup, Jean-Claude Volot, le président (Medef) de l’AGFPN, craint que les ordonnances aient pour effet de réduire la ressource collectée par l’AGFPN. Scénario que l’on réfute, dans l’entourage de Mme Pénicaud.