Une image de la série « The Sopranos », de la chaîne HBO. / HBO

Faut-il gérer des équipes « avec agilité, comme Dr House » ? Ou à la façon du jeune (et imaginaire) Pie XIII de « The Young Pope », qui a « l’art de déstabiliser une organisation » ? Ou encore sur le modèle du parrain de la mafia Tony Soprano ? Concernant ce dernier, « surtout pas ! », préviennent les auteurs du livre De MacGyver à Mad Men. Quand les séries TV nous enseignent le management, qui paraît ces jours-ci.

Ils sont treize enseignants et directeurs d’école de gestion du groupe privé IGS à avoir choisi chacun une série télé culte, avec l’idée qu’elle, et ses héros, avait quelque chose à nous dire sur la vie professionnelle, du leadership au management de l’innovation. « Ce n’est pas un livre de recettes de management mais un livre qui pose des questions », a prévenu lors d’une présentation débat Benoît Aubert, directeur de l’ICD et codirecteur de l’ouvrage avec Benoît Meyronin, enseignant à Grenoble Ecole de management (GEM).

Mais le point de vue peut être détonant. « La leçon des séries, c’est que, dans le leadership, il faut oser la transgression pour transformer. Leurs héros sont des personnalités singulières, et pas seulement des leaders visionnaires et charismatiques, tels que l’on présente généralement les manageurs. Les situations décrites ne permettent évidemment pas des analogies directes. Mais les personnalités des séries sont fascinantes et leurs réactions peuvent nous servir, d’autant que nous les voyons évoluer au fil du temps », analyse Benoît Meyronin.

La culture du non-dit en entreprise

Dans « The Sopranos », le parrain éponyme « a recruté ses semblables, qui ont tous commis le meurtre rituel pour entrer dans son cercle. Or tous rêvent de prendre sa place et attendent qu’il trébuche. Et il aurait besoin d’associés plus respectables pour pouvoir blanchir son argent… », explique M. Meyronin. Un exemple intéressant quand il s’agit de recruter l’équipe dirigeante. Et qui pose la question de la capacité des heureux élus à dire des vérités, même lorsqu’elles dérangent, à leur supérieur. Or la culture du non-dit demeure prégnante en entreprise, du haut vers le bas, comme en sens inverse.

Les Soprano - saison 1 Trailer
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Images : Les Soprano (bande-annonce, saison 1).

Dans la série « The Young Pope », le manageur est un jeune pape que la curie croit manipuler. Elle croit, à tort, que sa jeunesse le rend malléable, mais aussi qu’elle est synonyme de modernité, alors que Pie XIII se révèle très conservateur, relève Eric Le Deley, directeur de l’IGS-RH.

The Young Pope - Bande Annonce Sous-titrée CANAL+ [HD]
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Images : The Young Pope - Bande Annonce

M. Le Deley en tire plusieurs enseignements : « Le jeune pape sait repérer qui est avec lui et contre lui, qui est neutre et qui il peut ramener dans son camp : il sait choisir ses alliés. Ensuite, il sait gérer l’information pour ne pas donner prise aux autres, la rendre opérationnelle. Enfin, il sait s’adapter dans la façon de s’adresser à ses équipes, ce qui renvoie au management individualisé, quand il est possible. » Il utilise cette série pour inciter ses étudiants en ressources humaines à réfléchir : « La manipulation existe, il faut savoir s’en prévenir, et c’est un outil à utiliser à leurs risques et périls. Le défaut des écoles est souvent d’enseigner une entreprise idéale, et non pas telle qu’elle est », déplore-t-il.

Bonheur personnel et vie professionnelle

Le monde politique peut aussi servir de caisse de résonance aux réflexions des cadres dirigeants. Dans la série « Borgen, une femme au pouvoir », le parcours de l’héroïne, Birgitte Nyborg, montre l’interaction entre le bonheur personnel et le plaisir dans son travail, selon M. Meyronin.

Bande-annonce de « Borgen - saison 1 »
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Images : Borgen (Bande-annonce, saison 1)

« Au début, l’héroïne est extrêmement fraîche et gentille, et ensuite, elle devient dure. Sa vie politique a un impact sur son mariage. Il ne faut pas faire preuve de naïveté : la distinction entre vie professionnelle et vie personnelle est un leurre. Il faut gérer les émotions des autres et les siennes. Cela ne peut pas laisser indifférent ni être sans effets », détaille Benoît Aubert. Plusieurs séries montrent d’ailleurs, selon les auteurs, que l’extériorisation des sentiments est entrée dans les mœurs et que les manageurs pourraient se l’autoriser davantage.

Le lien entre management et vie personnelle s’illustre aussi dans la série « Mad Men » : Don Draper, directeur artistique d’une agence de publicité, en pleine crise de couple, invente le marketing de la nostalgie en regardant de vieilles diapositives familiales. L’aventurier MacGyver, de la série homonyme, a, lui, recours à d’admirables bricolages improvisés, ce que font aussi nombre de salariés pour remplir leurs missions.

Création d’entreprise et méthamphétamines

De même que Sherlock, qui mène avec peu de moyens ses enquêtes, fait ainsi preuve d’un grand talent pour l’innovation frugale… Le livre explique aussi comment « créer sa start-up digitale en six leçons avec “Breaking Bad” », en s’inspirant des aventures d’un professeur de chimie atteint d’un cancer qui se lance dans la fabrication de méthamphétamines pour assurer l’avenir financier de sa famille. Il s’agit de la leçon n° 6 : « L’entrepreneur doit se développer le plus rapidement possible »

Les auteurs n’ont pas retenu de série française mais ne l’excluent pas pour une édition ultérieure. « Le roi Arthur de “Kaamelott” est un très bon manageur : quel mérite il a, avec ceux qui l’entourent ! », lance Eric Le Deley. Lui utilise dans ces cours plusieurs films, comme Ressources humaines (2000), de Laurent Cantet, ou La Loi du marché (2015), de Stéphane Brizé. Et, selon lui, « Les Tontons flingueurs est le meilleur exemple du leadership en situation complexe : le film montre qu’il est très aventureux de mal identifier qui sont ses ennemis… »

Parmi les grandes séries à succès récentes, les auteurs ont fait l’impasse sur « Games of Thrones ». Il y aurait pourtant de la matière à puiser. Ne serait-ce que du côté des personnages féminins, les reines Cersei Lannister et Daenerys Targaryen, toutes deux prétendantes au trône de fer, incarnent deux styles de management assez opposés : autorité verticale et méfiance vis-à-vis de son peuple pour l’une, capacité à s’entourer et souci de justice pour l’autre. Tyran sanguinaire ou despote éclairée, elles sont loin des concepts à la mode d’entreprise libérée, mais pas toujours éloignées de la réalité…

Game Of Thrones - Daenerys Targaryen Best Moments
Durée : 17:34
Images : http://www.dailymotion.com/video/x3es124

« De MacGyver à Mad Men - Quand les séries TV nous enseignent le management », par Benoît Aubert et Benoît Meyronin (Dunod, août 2017). / Dunod