Le Fonds mondial pour la nature (World Wildlife Fund, WWF) est accusé depuis plusieurs années de ne pas respecter les droits des Pygmées du bassin du Congo par l’ONG de défense des peuples autochtones Survival International. Dans son dernier rapport, publié dimanche 24 septembre, celle-ci livre des dizaines de témoignages qui raniment la polémique sur la persécution dont sont victimes ces populations qui vivent aux abords des aires protégées, auxquelles l’accès leur est soit interdit, soit restreint.

Dans l’entretien qu’il nous accorde, Frederick Kwame Kumah, directeur pour l’Afrique de WWF, ne nie pas la réalité de ces violences, mais il en conteste l’ampleur et affirme que son organisation n’a aucune tolérance pour les écogardes qui en sont les auteurs. Il appelle Survival International à travailler avec eux sur le terrain et à fournir les informations dont elle dispose pour que des poursuites soient engagées contre les coupables.

WWF intervient dans le sud-est du Cameroun, en Centrafrique et au Congo-Brazzaville.

Contestez-vous le fait que les Pygmées soient victimes de nombreuses agressions de la part des écogardes chargés de lutter contre le braconnage, comme l’affirme Survival International ?

Frederik Kwame Kumah La situation des peuples autochtones et celle des Baka du Cameroun, en particulier, sont au premier rang de nos préoccupations. Nous n’allons pas polémiquer sur la vie de ces personnes. Nous ne nions pas que des violences existent, mais je veux aussi dire que chaque fois que nous avons connaissance d’un abus ou que nous recevons une plainte, nous en informons le gouvernement. Nous prenons toutes ces allégations très au sérieux car, pour WWF, la conservation durable ne va pas sans le respect des populations et l’amélioration de leurs conditions de vie.

Avez-vous reçu beaucoup de plaintes ?

Nous en avons reçu, mais pas dans les proportions dénoncées par Survival International. Le fait que nous travaillons avec le gouvernement peut expliquer que des victimes hésitent à s’adresser à nous. C’est pour cela qu’il faut mettre en place de bons circuits pour que tous les abus commis sur le terrain puissent être dénoncés.

Quels moyens WWF a-t-il mis en place pour prévenir ces abus ?

Nous encourageons les communautés avec lesquelles nous travaillons à dénoncer les cas dont elles pourraient être victimes ou témoins. Et nous avons aussi un système de « lanceurs d’alerte » au sein de notre personnel pour détecter d’éventuels problèmes.

Les écogardes dépendent du gouvernement. Nous intervenons dans leur formation et nous veillons à ce qu’ils soient informés des droits des populations autochtones. Ils savent ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas et signent un code de conduite avec le gouvernement. Nous incitons les autorités à recruter des Baka comme écogardes, afin de faire tomber les barrières avec les autres communautés.

Des écogardes ont-ils été déjà été sanctionnés ?

Il n’est pas en notre pouvoir d’arrêter les gens et de les punir. Nous transmettons les plaintes et certaines ont conduit à des sanctions que le gouvernement camerounais a rendues publiques. Depuis 2015, cinq écogardes ont été sanctionnés à la suite de plaintes que nous avons transmises au ministère camerounais de la forêt et de la faune sauvage. Mais, dans beaucoup de cas, nous manquons d’informations précises.

C’est pour cela que nous demandons à Survival International de nous fournir les informations dont elle dispose et de venir travailler avec nous sur le terrain. C’est bien de faire du bruit en restant à des milliers de kilomètres, mais, pour que les choses changent, il faut être sur le terrain. La médiation menée dans le cadre de l’OCDE [en décembre 2016, l’Organisation de coopération et de développement économiques a accepté de traiter la plainte déposée par Survival International contre WWF pour violation des droits de l’homme] nous avait donné une occasion de collaborer. Survival International a préféré se retirer de la procédure, et nous le déplorons.

Survival International vous reproche de travailler dans des aires protégées créées sans avoir obtenu le consentement « libre, informé et préalable » des populations qui vivaient dans ces espaces maintenant sanctuarisés.

Il ne revient pas à WWF de faire appliquer ce principe. C’est de la responsabilité de chaque gouvernement. Lui seul peut décider ce qu’il fait de ses terres, ici comme en France ou ailleurs. Ceci dit, nous faisons pression pour que les gouvernements prennent en compte ce principe inscrit dans la Déclaration des droits des peuples autochtones pour fixer la délimitation des aires protégées. Et, dans la pratique, c’est ce qui se passe de plus en plus, même si les gouvernements n’ont pas encore transcrit ce principe dans leur droit national.

Pour les parcs créés avant 2007, c’est-à-dire avant l’adoption de ce principe par les Nations unies, nous essayons de corriger ce qui a été fait. Par exemple, nous créons des zones de chasse ou nous signons des accords qui fixent clairement l’accès des peuples autochtones. Ce qui n’avait pas été prévu par le passé. Nous ne sommes pas parfaits, le système n’est pas parfait, mais nous essayons toujours d’obtenir le meilleur « deal » pour les populations.

Au Cameroun, vous avez réactivé une plate-forme de dialogue. Qu’en attendez-vous ?

Nous pensons qu’il est essentiel que tout le monde soit autour de la même table pour trouver une solution. Le ministère des affaires sociales, celui de la forêt et de la faune sauvage y participent, avec des représentants des populations autochtones, des associations des droits de l’homme, des ONG internationales… La plate-forme s’est réunie deux fois depuis sa création en avril.

Cela n’est bien sûr pas suffisant. Les projets que nous menons sur le terrain démontrent que la conservation peut permettre d’améliorer les conditions de vie de ces populations. Nous leur offrons un meilleur accès à la santé et à l’éducation et nous faisons en sorte qu’elles puissent faire entendre leur voix en les aidant à s’organiser. Dans le sud-est du Cameroun, nos projets touchent 16 000 Baka.

Partout dans le monde, les populations autochtones sont confrontées à des problèmes comparables. Mais ici, elles subissent les conséquences d’une marginalisation très ancienne, exacerbée depuis quelques années par la montée des conflits. Les difficultés des Pygmées vont bien au-delà de leurs relations avec les ONG de conservation.