Le parti socialiste avait fait de cet hôtel particulier, estimé à 55 millions d’euros, son QG en 1986. / Stéphane Lagoutte/MYOP

C’est un tic de langage qui sera difficile à faire disparaître. En annonçant, lors d’une conférence de presse le 19 septembre, que le Parti socialiste allait se séparer de son siège de Solférino à Paris, Jean-François Debat, le trésorier du parti, a sonné le glas d’une métonymie qui désignait le QG des socialistes par le nom de sa rue. Les politiques et les journalistes devront s’y faire. Pris dans les affres de défaites électorales majeures, même s’il a réussi à limiter la casse aux sénatoriales, le parti doit se renflouer − il vient ainsi d’hypothéquer son siège pour boucler un emprunt destiné à financer la campagne de Benoît Hamon, a confirmé jeudi 28 septembre Jean-François Debat à l’AFP.

Estimé à 55 millions d’euros par l’agence immobilière Barnes, l’hôtel particulier dans lequel la gauche avait investi en 1986 devrait lui fournir les moyens « d’amortir le choc », indique Jean-François Debat. Reste à savoir qui prendra la tête de ce morceau d’histoire politique situé à quelques pas de l’Assemblée nationale, dans le confortable 7e arrondissement. « Nous avons lancé un appel d’offres, afin d’obtenir le meilleur prix possible et nous offrir la liberté complète du choix des possibles acquéreurs », annonce M. Debat. En clair, « on ne vend pas à quelqu’un qui serait contraire à nos valeurs ».

« Ces lieux, c’est comme une marque dans le temps, un point de repère sur le chemin. » Henri Nallet, président de la Fondation Jean-Jaurès

L’ancien siège du parti semble montrer la voie. La cité Malesherbes, dans le 9arrondissement de Paris, a abrité la SFIO à partir de 1945. En 1971, le congrès d’Épinay fait de François Mitterrand le premier secrétaire du parti qui devient le PS. « Mitterrand s’installe à la cité Malesherbes, mais il ne s’y plaît pas », raconte Henri Nallet, qui fut son ministre de l’agriculture et garde des Sceaux entre 1985 et 1992.

Changer de lieu, changer de nom

Le PS déménage en 1978 place du Palais-Bourbon, en face de l’Assemblée, avant d’arriver deux ans plus tard rue de Solférino. Au 12 cité Malesherbes, l’immeuble qui a vu se succéder les figures du socialisme abrite aujourd’hui la Fondation Jean-Jaurès. L’association Entraide ouvrière, qui possédait le bâtiment depuis la fin de la seconde guerre mondiale, avait légué le lieu à Pierre Mauroy, à l’origine de cette fondation en 1992. Une filiation logique. « On est tout à fait respectueux des lieux, et c’est d’autant plus évident que les archives du socialisme sont ici », confie Henri Nallet, le président de la fondation, qui ajoute cependant : « Ces lieux, c’est comme une marque dans le temps, un point de repère sur le chemin. Mais je ne crois pas qu’il y ait eu une volonté de les utiliser pour leur poids symbolique. »

S’il y a un mouvement qui n’a pas cherché à charger ses quartiers généraux de symboles, c’est bien la droite. Entre 1963 et aujourd’hui, l’UDR, le RPR, l’UMP, et enfin Les Républicains ont écumé pas moins de quatre lieux différents. Pour des raisons stratégiques lors des différentes recompositions du mouvement, mais surtout pour des motifs financiers. Longtemps installés au 123 de la rue de Lille, les gaullistes se déplacent en 2000 au 2 boulevard de La Tour-Maubourg (7e) sous l’impulsion de Philippe Séguin, alors à la tête du RPR. Le mouvement est une nouvelle fois contraint de changer de lieu lorsqu’il s’allie à l’UDF pour donner naissance à l’UMP. Nouveau nom, nouveaux quartiers, c’est rue La Boétie dans le 8e que prennent place les membres du parti en 2002. « Si demain, on quitte le 15e, en dehors des aspects pratiques du déménagement, ça ne changera pas grand-chose », assure l’ancien président de l’UMP Jean Leonetti, maire (LR) d’Antibes. Les anciens locaux du parti sont d’ailleurs occupés aujourd’hui respectivement par des bureaux de l’Assemblée nationale (« une noble fin », juge Leonetti), une ambassade des Émirats arabes unis (achetée au RPR pour 27 millions d’euros en 2004 selon Le Parisien) ou encore une pépinière de start-up gérée par le Crédit agricole.

Des hipsters désacralisent le siège du PCF

Place du Colonel-Fabien, dans le 19arrondissement, le Parti communiste français (PCF), lui, s’accroche à son emblématique bâtiment. Même si l’œuvre de l’architecte brésilien Oscar Niemeyer, érigée entre 1971 et 1979, n’est plus uniquement le siège du Parti. Dans son étroit bureau, Jean-Louis Frostin, l’administrateur du désormais Espace Niemeyer, fait le point. « La division du bâtiment et la création de l’Espace Niemeyer sont la conjonction de deux choses : la volonté du Parti depuis les années 1990 de développer des activités culturelles, et des problèmes financiers au début des années 2000. » Le PCF n’occupe plus que la moitié des étages, le reste est loué depuis 2008, pour des réalisations de films, des espaces de bureaux. Désacralisée, la maison mère du communisme français, qui avait accueilli, non sans faire tousser certains caciques et militants, un défilé Prada en 2000, voit désormais passer de jeunes actifs, barbus et bien sapés. Sur deux étages et demi, Believe Digitial, une importante plateforme de diffusion de musique en streaming et de labels indépendants, a implanté ses bureaux. « On a réussi à développer une image de marque Espace Niemeyer », se réjouit Jean-Louis Frostin.

> Voir le portfolio : Visite guidée du siège du PCF

Pendant ce temps-là, à Saint-Cloud, un lieu chargé d’une tout autre histoire politique s’apprête à connaître une nouvelle vie. Au 15 rue Dantan, le « Paquebot », l’ancien QG du Front National, a subi un profond lifting. Le parti, qui avait déserté les lieux dès 2008, s’en était séparé, non sans difficulté, pour 9 millions d’euros en 2011. Dans cet immense bâtiment de 5 000 mètres carrés, une résidence pour seniors aisés devrait ouvrir dans les mois qui viennent. Probablement pas le genre de destinée que les cadres et les militants du PS souhaitent à « Solfé ».