Radcliffe Camera, la salle de lecture d’une des bibliothèques d’Oxford. / Noé Michalon via Campus

Diplômé de Sciences Po, Noé Michalon commence une chronique pour Le Monde Campus, afin de raconter son année à l’université d’Oxford, où il suit un master en études africaines.

Le gris muraille s’est soudainement imposé au milieu de la brumeuse verdure de la campagne anglaise. Deux heures seulement ont été nécessaires pour rallier en car Oxford, dont une pour s’extraire de la vaste agglomération londonienne. Après une saga de onze mois entre le début de ma candidature et son acceptation, je mets enfin le pied dans « la ville aux clochers rêveurs », pour y suivre un master d’un an en études africaines.

L’Angleterre a beau être plus proche de Paris que mon village ardéchois, difficile de ne pas se laisser prendre par de premières étrangetés du quotidien. Quand on s’apprête à s’installer sur la durée, l’œil est moins touristique et plus scrutateur : on délaisse les monuments pour se laisser happer par ce bar qui propose, entre autres live music et variétés de bières, des services de taxidermie. Par les habits colorés, les coiffures fluo et les looks improbables que chacun peut arborer sans craindre aucun regard. Enfin, par cette politesse proverbiale qui aligne de paisibles files d’attente à la montée des bus à étage, et qui rend muets les klaxons.

L’impression d’une cité qui ne veut être qu’éducative

L’arrivée au centre-ville d’Oxford sous la bruine donne la drôle d’impression d’une cité qui ne veut être qu’éducative. Les quelques maisons du centre espacent les colleges et non l’inverse, et chacune de ces résidences semble se justifier de sa présence en arborant des bannières vantant les cours de telle ou telle école privée, à grand renfort de photos d’écoliers en uniforme.

Les rugueux pavés de la gare routière font immédiatement voler en éclats une roue de ma lourde valise, et je traîne mon fardeau vers un bus qui me conduit à mon logement, une petite chambre dans une belle demeure du XVIe siècle. Les rues sont sillonnées de vélos, quelques voitures de police se fraient un chemin sirènes hurlantes, tandis que défilent invariablement les maisons bourgeoises en brique du XIXe et autres bâtiments de pierre.
Une fois installé dans ma coquette demeure, je me rends à pied à mon college, l’un des trente-huit ensembles qui forment l’université d’Oxford.

Chacun d’entre eux a son nom — le mien, c’est Kellogg, et il y a en effet un lien direct avec les fondateurs des céréales pour petit déjeuner —, son blason (celui de Kellogg, arbore, logiquement, un épi de blé), et un profil d’étudiants en général assez marqué (on retrouve beaucoup de doctorants ou d’actifs en reprise d’études).

Ce système est assez compliqué, et je ne suis même pas encore certain de l’avoir compris : le college gère toute la vie scolaire des étudiants, qui ne sont pas pour autant regroupés par filière. Donc je dois encore attendre la rentrée, le 9 octobre, pour rencontrer mes camarades d’études africaines, répartis au sein d’autres maisons. En attendant, je savoure les trois semaines d’intégration qu’a mises en place l’équivalent du bureau des élèves de Kellogg, à base de sorties en ville, de soirées ping-pong ou de films. Je sens déjà que l’identité de mon college est forte : les corn flakes — l’affectueux surnom que se donnent les étudiants — sont plutôt portés vers le sport, et notamment l’aviron, dont la pratique est célèbre à Oxford, et nourrit la rivalité avec l’université rivale de Cambridge.

Kellogg College, l’un des plus récents colleges d’Oxford, où Noé Michalon va étudier. / Noé Michalon via Le Monde Campus

 

Neuf cents ans d’histoire contemplent les étudiants

Le vieux bâtiment victorien de Kellogg qui m’accueille, au centre nord de la ville, est fraîchement rénové, avec goût et modernité : briques en extérieur, planchers vernis et lumières obliques en intérieur. Les tables de la lumineuse salle à manger sont dressées de vaisselle estampillée aux couleurs locales. Au mur, des pancartes listent les généreux donateurs qui financent le college, réputé progressiste par rapport à d’autres assez conservateurs, à l’instar du légendaire Christchurch, que certains étudiants comparent à la maison Serpentard de Harry Potter.

Car à Oxford, neuf cents ans d’histoire contemplent les étudiants. Et la tradition est encore bien présente, au-delà de tout folklore : les dîners officiels comporteront une prière, et le règlement de l’université déroule une liste importante d’interdictions. Les nouveaux venus britanniques de Kellogg ne cachent pas non plus leur surprise en apprenant qu’ils devront écouter un sermon en latin — puis y répondre dans la même langue — lors de leur cérémonie d’immatriculation, à la mi-octobre, au cours de laquelle on devient officiellement étudiant. « Il s’agit en fait d’une cérémonie royale, où la reine se fait représenter. C’est un peu comme si elle nous regardait », m’explique John, un camarade anglo-américain de Kellogg, au brunch, entre deux œufs pochés.

C’est d’ailleurs dans la perspective de cette cérémonie et des examens de fin de trimestre que l’une de mes premières quêtes fut celle du fameux « gown », la robe académique que l’on doit revêtir en ces occasions, avec le célèbre chapeau carré.

Toge noire, chapeau carré et nœud papillon blanc

C’est finalement chez Shepherd and Woodward que je trouve mon bonheur. Prenant un élan pour prononcer chaque syllabe comme le veut l’accent anglais, le distingué vendeur me brandit déjà une première toge noire avant même que je puisse prononcer un seul mot. Il m’a déjà jaugé d’un coup d’œil, et la longue tunique qu’il me tend m’arrive aux genoux, comme stipulé par la précieuse coutume de l’université. Avec cela, le chapeau carré (ou plutôt mortarboard, carrément plus élégant dans la langue de John Terry), et un nœud papillon blanc, déjà noué pour m’éviter des heures de contorsions, même si l’usage veut que l’étudiant le fasse lui-même.

En ressortant dans la très commerciale High Street, où pullulent les touristes — que je m’amuse à voir comme étrangers alors que la plupart connaissent mieux la ville que moi —, j’ai l’impression de refaire le parcours potterien du chemin de Traverse : les librairies descendent jusqu’à quatre étages aux sous-sols ; les vieilles boutiques d’habits chics côtoient celles de souvenirs ; et la plupart d’entre elles vont jusqu’à vendre des produits dérivés de la saga Harry Potter.

Si l’on ne prête pas trop attention aux rez-de-chaussée des rues, colonisés par des fast-foods bondés, la ville semble figée dans le temps. On voit défiler arcades et vitraux, créneaux et imposantes portes cochères. Mais au sol, la réalité est plus sombre : au milieu des nuées de touristes nombreux sont les sans-abri qui mendient, dans une petite agglomération où les loyers sont plus chers qu’à Londres, et où part étudier l’élite britannique. « On l’oublie souvent, mais Oxford est la capitale des SDF en Angleterre », déplorait une autre camarade de mon college. C’est une ville tout en contraste que je m’apprête à explorer cette année, et il y a du pudding sur la planche pour vous raconter tout cela.

Mariage au bord d’un canal, à Oxford. / Noé Michalon via Le Monde Campus